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leurs grelots au clair de lune, ses plus joyeux souvenirs réveillés chantaient en lui comme des rossignols…

Le lendemain matin, Lucile en ouvrant sa fenêtre vit le ciel gris et menaçant. Elle avait réfléchi pendant la nuit à la promesse faite à Maurice, et, préoccupée d’un engagement pris un peu à la légère, elle se rassura en songeant que la pluie arriverait à propos pour la tirer d’embarras ; mais à midi les nuages s’écartèrent, et un soleil pâle glissa sur la vallée. M. Désenclos était parti pour une excursion botanique et ne devait rentrer qu’à la nuit close ; elle avait une pleine journée de liberté, et d’ailleurs personne ne s’inquiétait jamais des promenades qu’elle faisait souvent seule dans la campagne. Sans doute Maurice, sur la foi de ce rayon de soleil, était allé l’attendre aux roches. Si elle n’y paraissait pas, n’aurait-il pas le droit de s’offenser de ce manque de parole ?… Une nouvelle éclaircie acheva de la décider ; elle renonça seulement à prendre sa fille avec elle à cause de l’humidité, et se dirigea seule vers les roches de Chaffaux en longeant la prairie.

L’air était tiède, presque lourd. Le ciel, brouillé de blanc et de bleu, avait un aspect doux à l’œil. De temps en temps, un rapide coup de soleil illuminait les prés et les montrait dans toute la splendeur de leur floraison. L’herbe mûre, épaisse, onduleuse, semblait vouloir submerger les buissons et les troncs d’arbres sous ses vagues verdoyantes ; un blond nuage de pollen s’en exhalait au moindre vent, et des milliers d’insectes planaient au-dessus des graminées en fleur. La prairie entière n’était qu’un délicieux bourdonnement. Les sons, les couleurs et les parfums y formaient un concert, une invitation à la joie et à l’amour. Lucile, tout en marchant, sentait l’effet de cet enivrement printanier. Ses hésitations avaient disparu, et il lui tardait d’arriver.

À une lieue des Ages, en amont, la Charente est bordée à gauche par des bois, et à droite par de hautes roches marbrées de lierre. La vallée se resserre et semble un haut couloir de verdure d’où l’on ne voit que des arbres et un pan de ciel bleu. Des poules d’eau cachées dans les joncs des rives, deux ou trois pies babillardes et des bergeronnettes sans cesse frétillantes sont les seuls hôtes de cette solitude. Ceux qui veulent rêver en liberté, ceux qui aiment la nature sauvage et charmante à la fois, y trouvent un paysage à leur gré. La rivière y serpente entre des bouquets d’aunelles ; une ancienne digue à demi ruinée la coupe en biais et permet d’aller des roches au taillis sans trop se mouiller les pieds. C’est là que Maurice attendait Lucile. Dévoré d’impatience, il marchait le long de la rive, piétinant à travers les herbes, grimpant aux roches et ne pouvant calmer l’émotion qui l’agitait. Le ciel s’était de nou-