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tredanse venait de finir. Elle releva vers lui ses regards limpides et contians, et avec un geste amical : — Merci, dit-elle, et au revoir !

Tandis que Maurice et Lucile dansaient, Mme de Labrousse errait à travers la ballade. Elle se croyait déjà des droits sur M. Jousserant, et elle avait vu avec dépit Mme Désenclos accaparer toute son attention. Désappointée et maussade, elle avait quitté sa compagnie pour aller jeter un coup d’œil du côté de la louée. Presque tous les jeunes gens étaient déjà gagés, et il ne restait plus çà et là que quelques retardataires errant à la recherche d’un maître. Parmi eux, la veuve distingua tout à coup Jacques Chantepie, mais Jacques transformé et méconnaissable. Il avait une blouse neuve, une chemise blanche et un grand feutre au ruban duquel était fixée une branche de houx. Mme de Labrousse s’arrêta devant lui, et ils échangèrent un regard rapide. La robuste apparence, les manières brusques et l’attitude hautaine de Chantepie firent impression sur elle, et elle lui demanda s’il voulait se louer comme garde à la Commanderie. — Oui, répondit Jacques d’un ton bourru, mais à une condition, c’est que vous prendrez Rougeaud avec moi.

— Qui ça. Rougeaud ?

— Mon chien.

— Va pour Piougeaud, dit la veuve avec un éclat de rire ; voilà dix francs d’arrhes, je t’attendrai demain.

Sitôt le marché conclu, Jacques alla droit à la danse et dit à Simonne : — Sais-tu ce que je viens de faire ? Je viens de me gager comme garde chez Mme de Labrousse… Maintenant nous allons danser une danse ensemble.

— Je ne saurais, répondit-elle, j’ai un danseur.

— Qui ?

— M. Maurice Jousserant ! s’écria-t-elle toute fière.

En effet, Maurice, selon la promesse qu’il avait faite à Sylvain, s’avançait vers la jeune fille. — Encore lui ! grommela Jacques ; puis il tourna le dos à Simonne et s’éloigna en jetant à Maurice un regard furieux.

Peu à peu le crépuscule tomba, et la foule s’éclaircit. Les violoneux étaient las, les danses se succédaient plus lentement ; à la brune, elles cessèrent tout à fait. Les dernières voitures se mirent en marche et disparurent sous la feuillée. La brande redevint solitaire et silencieuse. La nuit distilla doucement sa rosée sur les bruyères, et les herbes foulées se redressèrent insensiblement. Maurice, seul et à pas lent, regagnait les Ages par le plus long chemin, et tandis que les herbes couchées se relevaient, son amour demi-mort revenait à la vie, et tandis que les grillons agitaient