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courageusement à la tentation, et il se tenait parole. Les sages remontrances d’Hubert Grandfief n’avaient pas été perdues ; Hubert l’avait exhorté à la lutte, et il luttait de son mieux. Pendant la matinée, il s’imposait de longues tâches afin de rester forcément à la même place ; mais, quand venait le soir, il sortait, poussé par un invincible besoin d’agitation, et ses promenades se bornaient à de longs circuits autour des Palatries ; seulement chaque jour le cercle se rétrécissait, et les chemins choisis pour le retour le rapprochaient de plus en plus de la demeure de Lucile. Un soir, vers la fin de la troisième semaine, Maurice prit pour rentrer aux Ages un chemin creux qui lui parut, à première vue, descendre droit au fond de la vallée. Il suivait donc en toute confiance la pente de ce sentier vert, bordé de hautes aubépines. Tout à coup il déboucha dans une longue avenue de noyers aboutissant à une porte cintrée et à un grand mur, et il reconnut les Palatries. Il s’arrêta, mais au lieu de rebrousser chemin il voulut aller jusqu’à la grille et contempler au moins un moment cette demeure près de laquelle le hasard venait de le jeter. Au même instant, la porte s’ouvrit, et Mme Désenclos parut sur le seuil.

Elle donnait une main à sa fille, et de l’autre portait une cruche de grès qu’elle allait remplir à une source voisine, renommée pour la légèreté de ses eaux. Maurice resta immobile, et son cœur se mit à battre violemment. Elle était là, devant lui, l’amie d’autrefois, la Lucile de ses premiers rêves ; il n’avait que quelques pas à faire pour lui serrer la main et lui parler, pour entendre cette voix fraîche, qu’il n’avait pas entendue depuis si longtemps… Elle s’avançait lentement, réglant sa marche sur celle de sa petite fille et baissant les yeux pour ne pas rencontrer le regard de Maurice, car elle l’avait vite reconnu. Quand elle pensa être près de lui, elle releva brusquement la tête… et le vit s’éloigner à grandes enjambées et disparaître bientôt au bout de l’avenue. Il avait été fort jusqu’à la fin, et s’enfuyait, étonné et désolé à la fois de son courage.

Lucile pâlit. Il n’y avait plus de doute cette fois : non-seulement il ne venait pas chez elle, mais il la fuyait, il ne voulait pas la voir. Elle s’assit près de la fontaine et regarda machinalement la cruche s’emplir et glisser jusqu’au fond… Elle resta ainsi longtemps assise. De légers cercles se formèrent tout à coup sur la surface calme du réservoir… Qui les avait produits ? L’aile d’un insecte ou la chute d’une larme ? — Maman ! maman ! dit enfin la petite Madeleine… Lucile trempa dans l’eau son bras nu, et, se relevant avec la cruche ruisselante, regagna à pas lents les Palatries. Elle songeait avec dépit à l’étrange conduite de Maurice. Elle était à la fois attristée et irritée. Dans sa pensée, l’arrivée de M. Jousserant devait