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cependant notre état-major en jupons se recrute dans les rangs, hélas ! trop serrés, de ces pauvres filles déclassées par un revers de fortune et condamnées à des privations, à des travaux qui, selon toute apparence, ne devaient jamais leur échoir. Les privations, je n’en parlerai point. C’est seulement par comparaison que le régime de nos prisons peut sembler rude. Il serait puéril à moi de regretter cette chambrette rose et blanche dont les gâteries maternelles avaient fait un nid de duvet, et toutes ces menues élégances qui m’entouraient d’un luxe trompeur. Rien ne me manque, en somme, qui soit essentiel à la santé. La chère est peu variée, peu délicate, mais abondante, et généralement parlant irréprochable. Ma cellule, située dans une tour comme celle d’une châtelaine du moyen âge, est décemment meublée, et, grâce à l’assistance de l’une de nos « pensionnaires, » choisie naturellement, à titre de récompense, parmi les plus dociles et les plus sûres, il y règne une propreté scrupuleuse. Tous les autres détails de la vie sont réglés par une autorité certainement très bienveillante, et qui prend à cœur de nous rendre supportable ce séjour, en lui-même si peu attrayant ; mais le repos, mais l

a liberté, ces deux grands biens, où sont-ils ? Trois fois par semaine, de six heures du matin à neuf heures du soir, parfois à dix, une matrone se doit tout entière à sa mission. Les trois autres jours, elle est libre à six heures du soir, et peut disposer des quatre heures suivantes, soit dans l’établissement, soit au dehors. Le service du dimanche commence à sept heures et finit à neuf. Parfois elle obtient un dimanche de sortie, et chaque année il lui est alloué un congé de quatorze jours, d’où se déduisent les journées qu’elle a passées à l’infirmerie. Ces journées peuvent être nombreuses, attendu que le service est ardu, l’anxiété morale parfois très grande, les émotions parfois très vives. En somme, il est rare qu’au bout de quatre ou cinq ans les plus énergiques d’entre nous ne tombent pas malades, et beaucoup aussi, rebutées par cet incessant labeur, aiment mieux perdre leurs droits à la pension de retraite que d’achever leur engagement décennal. Nous sommes décidément en trop petit nombre. Songez donc : quarante-deux matrones pour près de cinq cents prisonnières ! — 472 si vous voulez le chiffre exact. En déduisant la matrone en chef, les principales matrones au nombre de quatre, plus celles de nous qu’on emploie à telle ou telle mission du dehors, chaque surveillante reste chargée de trente prisonnières en moyenne. Il faut qu’elle réduise trente femmes à l’obéissance la plus minutieuse, à l’observance des règles les plus strictes, et ce qui serait déjà malaisé, s’il s’agissait de religieuses novices ou professes, il faut y réussir vis-à-vis d’êtres pervers, flétris, ulcérés, méfians,