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l’éloignement établit entre les parties diverses d’un même corps des différences de perspective dont il serait dangereux de ne pas tenir compte. La tête paraît trop petite par rapport aux extrémités inférieures y les plans naturellement rentrans ou dépourvus de saillies reculent et n’ont plus assez de valeur ; les proportions en souffrent et avec elles la beauté. « Alcamènes et Phidias, dit le poète Tretzès, furent chargés un jour de faire deux statues de Minerve qui devaient être placées au-dessus de colonnades très élevées. Alcamènes donna à la déesse des formes délicates et féminines. Phidias au contraire la représenta les lèvres ouvertes, les narines relevées, calculant l’effet pour la hauteur qu’elle devait occuper. Le jour de l’exposition publique, Alcamènes plut, et Phidias faillit être lapidé. Lorsqu’au contraire les deux statues furent en place, l’éloge de Phidias était dans toutes les bouches, Alcamènes au contraire et son ouvrage ne furent plus qu’un sujet de risée. » A part quelques exagérations qu’il est aisé de négliger, ce passage, cité et traduit par M. Beulé[1], contient une leçon excellente : il montre comment un grand sculpteur étudie la perspective et la modifie dans l’intérêt de la beauté.

Quant à la perspective aérienne, c’est-à-dire à la multiplicité des plans successifs qui semblent s’éloigner graduellement du spectateur, la nature même du procédé technique par lequel on en produit l’effet devrait tenir le sculpteur en garde contre la tentation de l’introduire dans ses ouvrages. Ce procédé, qui repose essentiellement sur la distribution de la lumière croissante ou décroissante, selon les cas, et sur l’emploi de couleurs d’intensité également croissante ou décroissante, appartient en propre à la peinture. Grâce à la perspective aérienne, grâce à l’apparente profondeur qu’elle donne au tableau, le spectateur fait aisément abstraction de la surface plate qu’il a sous les yeux. Quoiqu’il ne soit point dupe d’une illusion d’ailleurs impossible, il accepte la fiction qui lui est proposée ; il croit non pas à la présence réelle de l’air et de l’espace dans la scène qu’il contemple, mais à l’expression vraisemblable des profondeurs de l’espace et de l’air. Cette expression est très incomplètement possible dans le bas-relief, et quand elle y est essayée, elle demeure invraisemblable. Sur une plaque de marbre, de plâtre, de bois ou de bronze, le sculpteur a beau aplatir de plus en plus les objets pour les contraindre à reculer et à fuir le regard, ils ne reculent pas, ils ne fuient pas, parce qu’en dépit des ombres les plus savantes la lumière des derniers plans est trop pareille à celle des premiers. Le clair-obscur qu’il poursuit avec effort se joue de lui

  1. L’Acropole d’Athènes, t. II.