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signification emblématique. » Qu’est-ce donc que cette puissance inégale des couleurs primitives, et quel intérêt y a-t-il pour l’artiste à en connaître la signification diversement emblématique ? Le voici. Dans le phénomène de la décomposition de la lumière blanche au moyen du prisme, les rayons sont réfractés, ce qui veut dire qu’en traversant le cristal, qui est un milieu plus dense que l’air, ils se brisent et que leur direction change ; mais ils ne se brisent pas tous selon le même angle : les rayons rouges sont moins fortement brisés que les rayons orangés, ceux-ci moins que les rayons jaunes, et ainsi de suite jusqu’aux rayons violets, qui subissent la plus forte réfraction. En d’autres termes, la puissance que les rayons solaires opposent à la réfraction est au maximum dans les rayons rouges et au minimum dans les rayons violets. Il n’y a rien certes de téméraire à conclure de là que la couleur rouge est la manifestation la plus énergique du pouvoir de la lumière et la plus puissante des couleurs. Étudiez le ciel par un temps serein, surtout en été et dans les pays méridionaux : quand le soleil se lève, les premières couleurs qui apparaissent avec l’astre lui-même sont le rouge, l’orangé et le jaune, tandis que l’horizon opposé est d’une teinte violette. Inversement, au moment où le soleil va disparaître, le couchant est pourpré et doré, tandis que l’Orient se couvre d’une douce couleur d’améthyste qui va s’étendant de plus en plus dans l’espace céleste, à mesure que le jour baisse davantage. Donc, à parler esthétiquement, le rouge est la couleur qui exprime le plus, et le violet est la couleur qui exprime le moins la présence active de l’astre qui apporte avec lui la chaleur et la vie, et ce n’est ni par fantaisie, ni par métaphore, c’est bien par raison scientifique que l’on a appelé le rouge, l’orangé et le jaune des couleurs chaudes, et au contraire le vert, le bleu, l’indigo et le violet des couleurs froides.

Si l’on passe de la physique à la physiologie, les mêmes distinctions sont légitimes encore à un certain degré. Dans le corps de l’homme, partout où la vie afflue, le sang afflue aussi et apporte avec lui tantôt seulement son incarnat rosé, tantôt sa rougeur pourprée. Chaque âge a ses couleurs que la santé avive et que la maladie altère ou détruit. La mort a aussi les siennes, terreuses, verdâtres, violacées, froides en un mot. Que m’importe le talent du peintre et son tempérament de coloriste, si, méconnaissant ces différences et pour faire montre des nuances dont il dispose, il étale les couleurs à contre-sens, et répand par exemple sur le pâle et austère visage d’un septuagénaire la même teinte rose que sur le corps jeune et frais de Vénus ? Que l’on fasse un pas de plus, qu’on pénètre jusqu’au foyer invisible des passions, des amours, des haines, des colères, on y puisera des raisons purement psychologiques, mais