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d’une promesse donnée aux jours prospères, et qu’une fois vouée à l’infortune j’eusse voulu reprendre à tout prix. Maintenant, grâce à Dieu, tout est dit. Vous êtes au loin, vous êtes sans doute sur le point de vous marier, et quant à moi, décidément vouée au célibat, j’ai sollicité, j’ai obtenu, par la protection spéciale d’un ami de mon père, l’évêque de R…, une position officielle qui m’engage au moins pour une dizaine d’années. Cette position n’est point brillante, je vous en préviens ; elle n’a rien qui flatte la vanité, rien qui ne soit très humble et très austère, rien qui rappelle ce paisible bien-être au sein duquel votre affection était venue me chercher. Bref, — car il faut en finir avec toutes ces précautions oratoires, qui trahissent malgré moi je ne sais quelle faiblesse, — celle que vous appeliez « miss Weston, » et qui aurait pu être « votre Lydia Weston, » compte parmi les quarante-deux matrones ou surveillantes de la prison de Millbank.

Matrone à vingt-cinq ans, la chose est grave ! Quant au métier en lui-même, on peut sans mollesse le trouver pénible. Du reste vous en jugerez par les détails que je suis à même de vous donner après quelques mois d’épreuve ; mais auparavant, et pour montrer tout d’abord le beau côté de la médaille, voyons par quels avantages matériels j’ai pu être déterminée à prendre un si grand parti. Une matrone en second, — c’est mon grade actuel, — est payée dès son entrée au service sur le pied de 35 livres[1], d’où il faut déduire la retenue mensuelle pour l’uniforme, c’est-à-dire 3 shillings et 4 pence[2]. Ce salaire, après tout suffisant, s’accroît d’une livre chaque année jusqu’au moment où d’ordinaire on a définitivement conquis le titre de matrone, c’est-à-dire après trois ou quatre ans de service. Les appointemens s’élèvent alors à 40 livres, avec un accroissement annuel de 25 shillings[3]. Que si, par mérite ou faveur, on devient matrone principale, — il n’y a là aucune impossibilité, — le salaire est de 50 livres, annuellement augmentées de 1 livre et 10 shillings. Après dix années, — ici la tentation devient irrésistible, — on est inscrite pour le reste de ses jours sur la liste des pensionnaires de l’état.

Ces avantages, — qui peut-être ne vous éblouiront pas, — sont cependant ambitionnés par de fort grandes dames… pour les soubrettes dont elles veulent se débarrasser. Je ne plaisante pas, mon ami, plusieurs de mes collègues sont arrivées ici par des protections de cet ordre, et j’ajouterai que je ne les classe ni parmi les moins utiles, ni même parmi les moins bien élevées. En général

  1. 875 francs environ.
  2. 4 francs 15 centimes.
  3. 1,000 francs, augmentés annuellement de 31 francs 25 centimes.