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elle fournit des indications, mais elle ne donne pas de préceptes ; elle agit devant l’artiste et semble se borner à lui dire : Comprenez-moi. Elle accomplit son œuvre selon des lois constantes ; mais, en artiste consommé et en fille digne de celui qui l’a créée, elle cache ses lois, voile sa méthode, et garde son secret ou ne le livre qu’à l’esprit qui a l’audace de le lui ravir. L’artiste qui y réussit est par cela seul un savant en même temps qu’un artiste. Il y a eu de tels hommes ; à la vérité, c’est le petit nombre. Les autres, pour être coloristes, je ne dis pas excellens, mais seulement supportables, sont condamnés à puiser la science qui leur manque dans les livres des physiciens, ou à la recevoir de leur bouche.

Ici se présente une série d’enseignemens et de démonstrations de la plus haute importance. M. Sutter les a exposés en professeur qui sait ce qu’il dit et à qui il s’adresse. Peut-être la partie technique de son ouvrage est-elle trop concise. On le suit cependant sans trop d’efforts, et quand on a lu ces brèves et substantielles leçons d’optique appliquée à la peinture, on se demande comment un artiste pourrait impunément ignorer ces choses de science qui touchent de si près le fond intime des choses de l’art. Puis à cette question en succède bientôt une autre : la science de l’optique et du coloris, si nécessaire au peintre, est-elle donc uniquement physique et chimique ? L’esthétique n’est-elle point appelée à la compléter ? Les arts ont leur orthographe ; mais ils ont aussi leur poétique. Le peintre qui connaît et suit l’orthographe de son art sans aller au-delà n’est pas plus un artiste que l’honnête maître d’école, n’est un écrivain parce que la grammaire n’a jamais à se plaindre de lui. De la correction irréprochable au style et à la beauté, la distance est si grande que la médiocrité est impuissante à la franchir. Or la physique n’enseigne au peintre que l’orthographe de la couleur. Décrivant et interprétant la marche silencieuse de la nature, saisissant et exprimant en formules les lois cachées sous les phénomènes, elle dit comment se propage la lumière, comment les rayons se brisent ou se réfractent inégalement en passant d’un milieu plus rare dans un milieu plus dense ; elle constate qu’il y a sept espèces de rayons élémentaires et par conséquent sept couleurs primitives, le violet, l’indigo, le bleu, le vert, le jaune, l’orange et le rouge ; elle ajoute que les rayons violets sont ceux qui se réfractent le plus, tandis que les rayons rouges sont ceux qui résistent le plus fortement à la réfraction ; elle révèle à l’élève la curieuse théorie des opposans harmonieux ou couleurs complémentaires, c’est-à-dire la propriété qu’ont certains rayons de reproduire la lumière blanche lorsqu’ils sont réunis deux à deux. De tout cela elle tire des préceptes importans relatifs à la coloration des ombres, à la distribution de la