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la beauté. De même le peintre de portraits, qui, au lieu d’imiter l’appareil photographique et de reproduire scrupuleusement tous les effets de la perspective, met dans une exacte proportion la tête, le tronc et les extrémités, quoique placés à des plans divers, de la personne qui pose devant lui, ce peintre, lui aussi, élève en sûreté de conscience les droits de l’esthétique et de la beauté au-dessus des droits de la perspective et de la géométrie.

Ainsi la perspective est quelquefois défavorable à la beauté, ou, si l’on veut, à la belle vérité, ce qui est la même chose. Cependant il n’y a pas en peinture de belle vérité sans perspective. Privée des ressources de la perspective, la peinture n’a plus à sa disposition que deux des dimensions de l’étendue, la longueur et la largeur, et elle est réduite à ne plus représenter que des silhouettes. Avec la perspective, elle prend possession de l’espace, y modèle les corps, y multiplie les plans et les aspects, y répand les formes mille fois variées de l’être, de l’âme, de la vie, et les ordonne selon les rapports de la plus riche harmonie. C’est là un éclatant exemple des services que la science positive peut rendre aux beaux-arts ; mais quiconque veut se servir de la perspective autrement que ne le fait une machine, quiconque veut en raisonner l’emploi, le justifier, le défendre au besoin, et au besoin aussi le contenir dans ses justes limites, est obligé de recourir à des raisons spéculatives et philosophiques. C’est là une preuve du rôle actif que joue la science esthétique dans les applications des sciences positives aux arts du dessin.

Les réflexions précédentes s’appliquent en partie à l’emploi du clair-obscur et du coloris, qui sont des élémens essentiels de la perspective aérienne. La couleur a en outre une puissance propre de séduction et d’expression. À ce second point de vue, l’habileté à s’en servir est souvent considérée comme un instinct, ou, selon la formule nouvelle, comme un pur effet du tempérament, de la constitution personnelle de l’artiste, secondée et même guidée par des conditions atmosphériques déterminées. Cette habileté étant un don que la nature accorde ou refuse à son gré, le peintre, en tant que coloriste, a son tempérament pour maître, dit-on ; il n’a que faire d’écouter les physiciens, et les philosophes n’ont à lui proposer que de vagues pensées sans efficacité.

Bien que cette opinion perde chaque jour de sa force, bien que ceux qui la jettent un peu au hasard dans la conversation et dans les livres en blâment volontiers l’exagération, il est utile de l’examiner précisément parce que, jusqu’à un certain point, elle est vraie. L’ignorance seule oserait nier que les peintres coloristes naissent doués d’une faculté très spéciale qui saisit, retient,