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ou moins analogues que l’on a réussi, quand toutefois on a pu réussir, et toutes les tentatives faites avec d’autres moyens n’ont abouti qu’à des échecs. Persévérer dans la même voie, perfectionner peu à peu ce qu’il y a de défectueux, ne pas introduire brusquement des innovations radicales, tel est le moyen le plus sûr d’arriver à un résultat tout à fait satisfaisant.

Lorsqu’on étudie l’histoire des travaux d’utilité publique, on est frappé de l’analogie qu’il y a entre les progrès de deux arts qui luttent l’un et l’autre contre le même élément, tout en se proposant un but bien différent, à savoir la télégraphie océanique et la construction des ponts sur les grandes rivières. Au XVIe et au XVIIe siècle, on bâtissait au hasard, de même qu’il y a dix ans on immergeait des câbles sous-marins sans se douter à peine des conditions auxquelles ils doivent satisfaire. Jusqu’au siècle de Louis XIV, les ponts, à peine édifiés, étaient emportés par une crue ou une débâcle ; parfois même les désastres survenaient avant que les ouvriers eussent posé la dernière pierre. Combien de fois nos câbles se sont-ils rompus aussi tandis qu’on les lançait à l’eau ou peu de jours après qu’ils avaient été mis en place ! Ne peut-on comparer les échecs réitérés de la ligne télégraphique transatlantique avec les ruines du fameux pont de Moulins sur l’Allier, qui après s’être écroulé deux fois en 1684 et en 1689 avant même d’être achevé, a été repris en 1708 sans plus de succès, et enfin heureusement édifié en 1762 ? Les constructeurs des siècles passés étaient impuissans à descendre les fondations sous l’eau ; ils ne savaient calculer ni le débouché des fleuves ni la résistance des matériaux : leurs œuvres ne pouvaient être durables. Ce fut une des gloires des ingénieurs du XVIIIe siècle d’avoir su déterminer pour ce genre d’édifice les règles de l’art[1]. Ce sera l’une des gloires des ingénieurs du XIXe siècle d’avoir conduit le fluide électrique à travers les océans en dépit des profondeurs qu’ils présentent et des tempêtes qui les bouleversent.

Voilà le point où l’on en est. On vient de voir les enseignemens qui résultent de tentatives accomplies non sans succès depuis quinze années. Il sera plus aisé maintenant de raisonner sur ce que l’on peut faire et de discuter les lignes nouvelles dont il va être question. Il est clair en premier lieu que l’on peut entreprendre sans témérité, ou pour mieux dire avec certitude de réussite, toutes les lignes télégraphiques qui ne traversent que des eaux peu profondes, par exemple celles qui s’écartent peu des côtes. Vers l’Orient, les communications télégraphiques dont le besoin se fait le plus sentir satisfont à cette condition à peu d’exceptions près. Ainsi

  1. Voyez de curieux détails sur la construction des ponts avant l’époque actuelle dans les Études historiques sur l’administration des voies publiques en France, par M. Vignon.