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que pour toute autre industrie, l’expérience a prouvé d’une façon péremptoire que les monopoles sont inutiles et nuisibles même à ceux en faveur de qui ils sont constitués.

Les opérations du Great-Eastern dans la campagne de 1866 ne devaient pas se borner à la pose d’un câble entre l’Europe et l’Amérique ; il était aussi dans les intentions de la compagnie transatlantique, on s’en souvient, d’essayer de reprendre au fond de la mer le câble perdu pendant la campagne précédente. Ayant renouvelé ses approvisionnemens de charbon et de vivres, le navire géant se rendit donc vers le lieu présumé de l’accident. Après vingt jours de pénibles et fastidieuses recherches, il réussit enfin dans son entreprise : le câble de 1866 a été repêché à 1,300 kilomètres de Terre-Neuve et complété jusqu’à la côte d’Amérique. Un second fil de communication est tendu entre les deux continens.

Lorsqu’on considère en leur ensemble et dans leurs plus minutieux détails les deux opérations de télégraphie océanique que les Anglais viennent d’accomplir sur la route de l’Inde et sur celle de l’Amérique, on ne peut se défendre d’un sentiment d’admiration. On reconnaît volontiers que des hommes qui ont mis au service d’une grande idée tant de science et d’énergie ont bien mérité de leurs concitoyens et rendu un signalé service au monde civilisé. Qu’on n’aille pas, pour amoindrir leurs titres à notre reconnaissance, prétendre qu’ils ont été favorisés par un hasard heureux. Après avoir suivi pendant bien des années avec une vive sollicitude leurs essais, leurs travaux et leurs premiers échecs, nous osons dire que, si cette fois ils n’avaient pas la certitude de réussir, ils avaient fait du moins tout ce qu’il était humainement possible de faire pour assurer le succès. Il n’est pas de plus bel éloge. Nous dirons encore qu’en écrivant l’histoire de la télégraphie océanique, on remarque une faute ou une négligence à côté de chaque désastre, quelquefois l’oubli des principes les plus élémentaires de la science, et que dans les deux entreprises dont il vient d’être question tout avait été prévu et préparé avec des soins infinis et une habileté incontestable. Mais ce n’est pas assez de considérer à un point de vue technique les travaux des ingénieurs télégraphistes. Toute œuvre de cette nature est aussi un instrument à l’usage du public et une entreprise financière. Que peuvent produire les câbles sous-marins, que deviendront-ils entre les mains de leurs heureux propriétaires ? C’est ce qu’il reste à examiner.


III

Le caractère essentiel des correspondances télégraphiques est la rapidité. Nous sommes si bien habitués à l’idée qu’un télégramme