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du Nord, enverrait un de ses bâtimens au-devant de l’expédition pour lui jalonner l’entrée de la baie où on avait l’intention d’atterrir. L’Albany partit en avant pour chercher ce bâtiment et reconnaître la côte. Enfin le 27 on arrivait en vue de la terre. A neuf heures du matin, le Great-Eastern mouillait au milieu de la baie de la Trinité. Il ne restait plus qu’à souder au câble transatlantique le shore-end préparé pour l’atterrissement. L’opération était terminée ; une communication prompte et directe était établie entre les deux mondes. Comme première nouvelle, les habitans de Terre-Neuve apprenaient qu’un armistice avait été signé trois jours auparavant entre la Prusse et l’Autriche. — Vit-on jamais phénomène. plus merveilleux ? Confondre l’espace, annuler le temps, devancer le soleil dans sa course autour de la terre, réunir deux peuples que séparait un immense obstacle ! On s’étonne que le fluide électrique, si capricieux, si bizarre en ses effets, si mobile, qu’on l’eût pu prendre à plus juste titre que l’onde pour symbole de la mobilité, on s’étonne que ce fluide soit si docile cette fois, et qu’il aille jusqu’au bout de la voie qu’on lui a préparée. Bien plus, il revient sur lui-même et rapporte la réponse. L’électricité, trop prônée aux dépens des puissances sœurs, la chaleur et la lumière, a souvent déçu l’espoir des inventeurs ; mais ici, tenant tout ce qu’elle avait promis, elle exécute sans peine ce que nulle autre force terrestre n’eût été capable d’accomplir.

L’île de Terre-Neuve, où aboutit, on vient de le voir, l’extrémité du câble transatlantique, est depuis longtemps en possession d’une correspondance télégraphique avec le continent américain au moyen d’un câble immergé en 1856 dans les eaux peu profondes du golfe Saint-Laurent. Par malheur ce câble avait été rompu l’année précédente et n’était pas encore réparé. En Amérique, toutes les lignes télégraphiques sont propriété privée. La compagnie à laquelle appartiennent les télégraphes de Terre-Neuve (New-York, Newfoundland and London telegraph company) se proposait non-seulement de réparer ce conducteur unique, ce qu’elle a déjà fait, mais encore d’en poser deux autres, afin d’assurer à la ligne transatlantique un débouché certain et suffisant. C’est ici le lieu d’observer que cette compagnie posséder — on ne sait pour quel motif, — le droit exclusif pour 50 ans, à partir de 1854, d’atterrir des câbles sous-marins sur les côtes du Labrador, de Terre-Neuve et de l’île du Prince-Edouard, et pour 25 ans sur les côtes de l’état du Maine. En toute cette région du globe, il ne reste plus que les petites îles françaises de Saint-Pierre et de Miquelon où de nouvelles compagnies puissent se rattacher. Espérons que celles-là du moins ne deviendront pas l’objet d’un privilège. Pour la télégraphie de même