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ingénieurs de la compagnie s’occupaient des moyens de transporter le câble et du tracé le plus convenable à lui faire suivre au fond de la mer. C’est entre l’Irlande et Terre-Neuve qu’ils songeaient à l’immerger. L’Atlantique a sous cette latitude un peu plus de 3,000 kilomètres de large et une profondeur à peu près constante de 4 à 5,000 mètres. Du reste, pas d’île intermédiaire, pas même de montagnes sous-marines ; rien qu’un immense gouffre dont il est déjà difficile de tâter le fond. L’atterrissement sur les deux rivages opposés fut étudié avec plus de soin qu’on ne l’avait fait avant l’expédition de 1858. On s’efforça surtout de chercher une plage où la descente, depuis le rivage jusqu’aux plus grandes profondeurs, fût bien uniforme, sans accores ni rochers aigus. En effet, les rochers risquent d’user en peu de temps l’enveloppe protectrice du câble, et d’autre part, lorsqu’il reste suspendu entre deux montagnes escarpées, il est à craindre qu’il ne se rompe par le milieu. Le point de départ fut enfin fixé à Valentia et celui d’arrivée à Heart’s Content, dans la baie de la Trinité. Quant au transport, il suffira, pour en faire comprendre les difficultés, de dire, que ce câble formait une masse indivisible de 4,500 tonneaux, à laquelle venait s’ajouter l’approvisionnement de charbon et tout ce qu’il faut embarquer pour une campagne de quinze jours au moins. Lors de l’expédition de 1858, le chargement avait été réparti entre deux navires de guerre du plus fort tonnage, qui s’étaient séparés au milieu de l’Océan, chacun dévidant de son côté ce qu’il avait emporté ; mais cette façon de procéder avait donné lieu à des critiques judicieuses. Un seul navire au monde était capable de recevoir un pareil volume : c’était le navire géant, l’œuvre malheureuse de Brunnel, le Great-Eastern qui se reposait dans la Tamise après deux pu trois voyages au-delà de l’Atlantique. Ce colossal steamer fut donc approprié à sa nouvelle destination. On y disposa trois grandes cuves en tôle susceptibles de loger le câble tout entier et de le conserver immergé dans l’eau pendant toute la durée de la traversée, La machinerie d’émission, composée de freins et de rouleaux, fut installée sur le pont. L’équipage fut recruté avec les plus grands soins. L’un des meilleurs capitaines de la compagnie des paquebots Cunard en reçut le commandement. Tout compris, électriciens, ingénieurs, manœuvres et matelots, il y avait cinq cents hommes à bord. Les journaux les plus accrédités de la Grande-Bretagne y avaient même leurs représentans. L’Angleterre entière manifestait le plus vif intérêt pour cette patriotique entreprise.

Quel fut le résultat de cette expédition accompagnée de tant de vœux et de souhaits ? Personne ne l’ignore, car l’an dernier les journaux en ont fidèlement reproduit les bulletins quotidiens. Dès les premiers jours de juillet, le Great-Eastern quittait la Tamise