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apprit qu’il était rompu au plus profond de l’océan et qu’il n’y avait pas espoir qu’il pût être réparé. Lorsque les hommes spéciaux connurent plus tard toutes les circonstances de l’opération, ils ne s’étonnèrent pas que la correspondance entre les deux bords de l’Atlantique eût été si brusquement interrompue. Comme en tous les autres projets de même nature qui n’eurent pas jusqu’en 1860 de meilleur résultat, il était possible de montrer du doigt en quoi l’on avait péché et quelles fautes il fallait éviter à l’avenir. Pour le public, ce fut une condamnation momentanée des entreprises de télégraphie océanique ; pour les ingénieurs, ce ne fut qu’une leçon dont ils résolurent de profiter. Après plusieurs années d’efforts infructueux pour rendre aux capitalistes la confiance dont ils étaient eux-mêmes animés, les promoteurs du télégraphe transatlantique réussirent enfin, dans les derniers mois de 1863, à réunir la somme de 12 ou 15 millions qui leur était nécessaire pour recommencer. Avec une persévérance méritoire, ils avaient frappé à toutes les portes et quêté dans toutes les bourses en faveur de leur œuvre. Près du gouvernement anglais, ils faisaient valoir l’immense intérêt politique de mettre à portée de la voix les troupes et les escadres qui défendent l’Amérique britannique ; on leur promit une garantie de recettes de 500,000 fr. par an. Chez les gros négocians, chez les armateurs dont les navires traversent sans cesse l’Atlantique, ils montrèrent de quelle utilité serait un câble pour la prompte expédition des affaires et la sécurité des transactions. Partout, dans toutes les villes et toutes les classes de la société, ils s’adressèrent à l’orgueil national en exposant le mérite qu’il y aurait à réussir dans une si noble entreprise. La nouvelle compagnie émettait des actions de 5 livres sterling afin d’être à la portée de toutes les fortunes. On doit convenir que ceux qui avaient confiance dans le succès de l’œuvre s’engageaient là dans une bonne affaire. Les actions du nouveau capital devaient porter intérêt à 8 pour 100 par prélèvement privilégié sur les produits futurs du câble ; l’ancien capital, dont la valeur totale était anéantie, ne portait intérêt qu’à 4 pour 100 ; on présumait toutefois que le revenu net ne serait pas inférieur à 10 millions de francs par an, en sorte qu’il devait y avoir un dividende supplémentaire de 10 pour 100 et en outre un fonds de réserve assez considérable pour reconstituer le capital lui-même en deux années d’exploitation. Si belles que fussent ces promesses, on verra plus loin qu’elles étaient encore au-dessous de la réalité ; mais il fallait réussir, et pour les gens impartiaux il y avait en cette affaire des chances aléatoires vraiment formidables.

Il est nécessaire de suivre pas à pas toutes les phases de ce grand travail, si l’on veut apprécier avec sûreté la prudence et l’habileté des hommes qui le dirigeaient. Dès qu’ils eurent la certitude de n’être