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montagneuse du Mekran, en ayant soin de passer par les fonds de 100 à 200 mètres. On avait cru jusqu’alors qu’il était impossible d’immerger avec succès un câble chargé sur un navire à voiles qu’un bateau à vapeur traîne à la remorque, parce que les communications sont lentes entre ces deux bâtimens et qu’on ne peut stopper tout de suite en cas d’accident ; mais on eut recours à un mode de correspondance simple et rapide qui prévint toute confusion. Dès que les rouleaux emmagasinés sur l’un des bâtimens à voiles avaient été dévidés en entier, un autre bâtiment venait prendre la remorque, on soudait le câble que portait ce navire à l’extrémité du câble immergé, et l’opération continuait. Au bout de trois jours de marche, l’escadre arrivait en vue de la côte d’Arabie ; l’atterrissement fut fait sans obstacle, la première section de la ligne était établie.

C’est là, entre deux petites baies que sépare le cap Mussendom, à l’entrée du golfe Persique, que se trouve la deuxième station de la ligne ; la station d’Elphinstone, qui est loin d’être un séjour séduisant. Elle est établie sur une petite île rocheuse, juste assez large pour l’usage qu’on en veut faire. Les Arabes des villages environnans sont encore des sujets de l’iman de Mascate ; sauvages et pillards, pirates à l’occasion, ils ne peuvent être que d’une faible ressource aux résidens européens. Pour plus de sûreté, deux pontons sont mouillés dans la baie comme refuge en cas de besoin. Toutes les montagnes du pays d’alentour sont nues et stériles. La. vue n’est pas belle, mais elle est étendue et imposante. Pour la nourriture, on ne trouve guère que des poissons et des huîtres ; les Arabes apportent, quand ils sont bien disposés, des poules et des œufs. Le colonel Stewart eut soin de pourvoir la station d’un alambic pour distiller l’eau de mer et d’un appareil à faire la glace ; il songea aussi aux moyens de rendre cet exil aussi doux que possible. Une bonne bibliothèque, des outils, des armes de chasse, des bateaux de promenade aident les habitans de la petite colonie à passer le temps. Ils sont bien isolés, il est vrai, mais après tout le télégraphe lui-même les tient au courant de ce qui advient de plus important dans l’univers entier. Après quelques jours consacrés à l’installation du poste d’Elphinstone et à une visite à l’iman de Mascate, dont il importait de se concilier les bonnes grâces, la petite expédition reprit la mer, et, favorisée par le beau temps, elle arriva bientôt à la troisième station, la ville de Bushir, sur la côte persane. Elle repartit de nouveau après avoir fait les deux atterrissemens sur cette plage, et parvint enfin, le 28 mars, à l’embouchure du Shot-el-Arab, où la ligne sous-marine devait s’arrêter. Le limon que charrie ce grand fleuve a produit d’immenses envasemens qui s’étendent à plusieurs milles au large, si bien que, pour mener le câble au rivage, il fallut le traîner à bras d’hommes sur