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territoires allemands de nouvelles institutions militaires, de nouvelles lois civiles, de nouveaux règlemens douaniers et industriels. Ce sont là, des réformes presque aussi profondes que le fut la refoute de l’organisation française en 1789 ; mais une longue préparation les aura rendues plus faciles, et il est permis d’espérer que la régénération intérieure s’accomplira par la voie pacifique et parlementaire, maintenant que les armes ont fait leur œuvre en écartant l’Autriche, qui était l’obstacle absolu. Dans un cas seulement, une évolution plus rapide et toute violente serait à craindre : cette éventualité se réaliserait, si nous étions destinés à voir ce que la France a vu en 1791, l’ingérence étrangère venant ruiner notre œuvre intérieure. Ce que le peuple français subit alors fatalement, nous le subirions aussi : le sentiment national s’enflammerait dans toutes les parties de l’Allemagne, et les débats parlementaires dégénéreraient en convulsions révolutionnaires. Conservateurs et libéraux, unitaires et particularistes se réuniraient dans une lutte commune. En dépit de tous les dissentimens antérieurs, l’Allemagne du nord se joindrait à l’Allemagne du midi ; toutes les provinces en-deçà et au-delà du Mein se grouperaient sous la conduite de l’homme d’état qui les conduirait le plus vite et le plus sûrement contre l’assaillant du dehors. Tout petit souverain qui oserait alors se ranger du côté de l’étranger serait brisé avec la même patriotique fureur que mit le peuple français, en 1793, à broyer les amis et les soldats de la coalition, les prêtres de la Vendée, les émigrés de Coblentz. L’œuvre de l’unité allemande, œuvre de paix et de progrès par son essence même, œuvre d’opposition contre la politique toute de conquête des anciens empereurs germaniques, deviendrait, elle aussi, révolutionnaire et guerrière. L’Allemagne, au milieu du tumulte des armes, périrait sans nul doute ses libertés, et au lieu d’offrir une source de paix à l’Europe, elle lui deviendrait une occasion de périls. Puissent la claire vue des choses, la sagesse des gouvernemens et la modération des peuples nous préserver de telles calamités ! Pour ce qui est de nous, Allemands, nous plaçons au premier rang de nos vœux les rapports d’une sincère amitié avec la France, afin de substituer aux anciennes jalousies l’émulation dans la voie des lumières et de la production ; nous souhaitons une entente qui repose sur l’entière base d’un respect réciproque. Cela conquis, nul des deux grands pays ne troublera l’autre dans l’organisation de ses affaires intérieures, nul des deux n’inquiétera l’autre par d’égoïstes exigences à propos de son progrès national. Nos deux nations ont assez souvent montré qu’elles ne redoutant pas la guerre ; elles peuvent désormais déclarer sans crainte pour leur honneur qu’elles sont affamées de paix.


HENRI DE SYBEL.

Bonn, 5 septembre 1806.