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question quand vous avez dit : « Derrière le gouvernement prussien, et quelles que soient les défectuosités constitutionnelles de ce gouvernement, il y a un vrai peuple moderne. On sent bien là une nation fécondée par les travaux intellectuels et par les travaux matériels d’une industrie avancée, assouplie à une savante discipline militaire, et sachant appliquer jusqu’à son armement quelque chose de la précision scientifique. Il faut rendre justice à cette armée recrutée de soldats qui savent lire, et dont le plus grand nombre venait à peine de quitter les travaux de la vie civile. » Il est impossible, monsieur, de mieux exprimer que vous ne l’avez fait dans ces lignes ce qui est la réalité ; mais il me paraît que voilà notre question résolue. Oui, dans le fait, le peuple prussien est un peuple « vraiment moderne ; » or l’esprit moderne n’est-il pas dans son essence l’ennemi déclaré de l’esprit de guerre et de conquête ? L’esprit moderne n’a-t-il pas horreur des sacrifices et des calamités infinies qu’entraîne toute guerre ; n’ayant pas pour but l’unique défense nationale ? Cet esprit moderne n’est pas autrement fait en Allemagne que partout ailleurs ; au contraire le cours de notre histoire le montre s’appliquant chez nous avec une double intensité aux travaux de l’intelligence et de la paix. Notre unité nationale a eu pour première ennemie la passion des conquêtes, qui a entraîné les revers de nos anciens empereurs. Le premier pas vers le réveil de notre conscience nationale a été non point un sanglant triomphe de guerre, mais bien la création d’une grande littérature moderne. Ce que nos empereurs ont détruit, nos poètes et nos philosophes ont commencé de le réédifier, et ce travail du siècle précédent, ce siècle-ci l’a continué par d’analogues tendances. Pendant que la diète fédérale semblait éterniser notre morcellement, le progrès d’une jeune industrie rapprochait toujours plus intimement nos provinces. Notre littérature avait marqué la première étape sur la voie de notre unité nationale ; pour seconde étape, nous avons eu le Zollverein. A mesure que sur ce terrain le parti politique des unitaires allemands se constituait avec plus de solidité, ce même parti se débarrassait plus franchement de toutes les tendances de notre moyen âge. Ceux qui réclament pour eux-mêmes le droit de l’unité nationale ne peuvent avoir dans la pensée de disputer ce même droit aux autres. N’avons-nous pas été accusés et honnis par les partisans de l’Autriche pour avoir salué avec sympathie la délivrance de la Lombardie et souhaité l’alliance naturelle entre l’Italie et l’Allemagne ? Or le gouvernement prussien, qui a désormais pris en main les efforts du parti unitaire, ne montre pas d’autres intentions que celles que je viens de dire. En dépit de sa complète victoire, il n’a pas convoité une seule parcelle du territoire autrichien. Les territoires polonais qu’il a acquis pendant le dernier siècle lui paraissent un enrichissement fort douteux ; il est loin de souhaiter un accroissement de ses possessions slaves. S’il a mis fin avec une grande décision à la domination danoise dans les duchés de l’Elbe, il ne s’en est pas moins