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les Français ont été reconnaissans, et cette politique a profité justement à la France, qui représentait ainsi le droit naturel et réel de l’indépendance nationale contre un despotisme mystique et une ambition universelle. Aussi longtemps que la France a observé cette ligne de conduite, elle s’est glorieusement accrue ; mais lorsque ses souverains, comme il est arrivé sous Louis XIV et Napoléon Ier, ont pour leur propre compte aspiré à la domination universelle, ils ont attiré sur leurs peuples, à la suite de brillans triomphes, les catastrophes de Malplaquet et de la Bérézina. Le principe de l’indépendance nationale contre la doctrine de la conquête universelle, voilà la vraie politique traditionnelle de la France, la politique pratique et glorieuse. Est-ce donc aujourd’hui, quand ce principe est plus énergiquement que jamais affirmé par son gouvernement, est-ce aujourd’hui que la France voudrait empêcher la nationalité allemande de se constituer ? Est-ce aujourd’hui qu’elle méconnaîtrait le droit d’une nation de régler ses propres destinées, et qu’elle voudrait reculer ainsi, par une sorte de suicide, jusqu’à imiter Louis XIV ?

Il est vrai que l’empereur François-Joseph d’Autriche n’est pas aussi fort que son puissant ancêtre Charles-Quint, il s’en faut de beaucoup : Frédéric II et Napoléon Ier, les armes de la France en 1859 et les armes prussiennes en 1866 y ont mis bon ordre ; mais la tradition politique de l’empereur d’Autriche actuel n’est pas autre que celle des empereurs d’Autriche du moyen âge. Comme la vieille maison de Habsbourg, la moderne Autriche est la négation vivante du droit national. A l’intérieur, elle a un pied sur la Bohême slave et l’autre pied sur les Magyars hongrois ; au dehors, elle a cherché depuis les traités de 1815 à courber sous sa domination d’une main l’Italie, de l’autre main l’Allemagne, et l’on était à Vienne si naïvement pénétré de la conviction de ce droit éternel au despotisme, que toute tentative de réforme y était considérée comme un attentat public contre lequel on n’imaginait que l’anéantissement par la proscription. Lorsqu’en 1850 la Prusse souhaita d’améliorer la constitution allemande, le ministre prince Schwarzenberg s’écriait à Vienne : « Il faut avilir la Prusse pour la démolir. » Lorsqu’en 1859 Napoléon III rappela l’indépendance que les traités assuraient à l’Italie centrale, ce fut encore un ministre autrichien qui déclara que le but réel de la guerre de la part de l’Autriche était le renversement de Napoléon III et le rétablissement de Henri V. « C’est ce que nous voulons, disait-il, ni plus, ni moins. » Il n’a manqué qu’une chose, comme on sait bien, la force suffisante, pour exécuter cette furieuse sentence ; mais la ferme volonté ne manquait pas de traiter Prusse et France au XIXe siècle comme Charles-Quint avait traité au XVIe les protestans allemands et le roi François Ier. En vain les temps sont changés : la voix de la liberté et du droit parle aujourd’hui dans tous les cœurs, la force du sentiment national est vivante dans toute l’Europe, tout s’est renouvelé ; seule, la politique des hommes d’état de Vienne est restée immuable.

En France, tout le monde à peu près sait ce qu’il en a coûté à l’Italie