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la Prusse porte réellement en soi un tel caractère, s’il est vraiment un produit de la volonté nationale et du progrès historique, ou s’il n’est au contraire que l’œuvre fortuite d’une ambition dynastique et personnelle. Ce qui, dans le premier cas, serait justifié et bienfaisant, devrait être considéré, dans le second cas, comme inquiétant, comme périlleux peut-être pour la France et pour l’Europe. « La victoire de la Prusse, dites-vous, pose le problème de la façon la plus nette et la plus redoutable. »

En prenant la liberté de vous adresser quelques remarques, ce n’est pas une réfutation que j’ai en vue, c’est une simple explication. Je ne prendrais pas sur moi de critiquer un jugement français sur des intérêts français ; mais quand le jugement dépend de la question de savoir si certaines aspirations se réalisent sur le sol germanique, vous permettez à un observateur allemand de prendre la parole pour donner sur les affaires de son pays quelques éclaircissemens consciencieux.

Et d’abord de quoi s’agit-il ? Quel est le but que s’efforcent d’atteindre la Prusse et ses adhérens allemands ? Les traités de Nikolsburg et de Prague donnent à ces questions une réponse précise. La Prusse reconnaît l’intégrité du territoire autrichien, en échange de quoi l’Autriche lui reconnaît le droit de régir l’Allemagne du nord, soit par la voie d’annexion soit par une constitution fédérale, et de chercher à constituer par des traités particuliers avec l’Allemagne du midi une union nationale ayant des liens plus lâches. Un pareil résultat diffère essentiellement des systèmes qui avaient été proposés depuis 1848 par les libéraux pour la réforme de la confédération germanique. il n’a rien à faire avec les souvenirs romantiques à la gloire des anciens empereurs, avec les plans radicaux du parti démocratique de 1848, avec l’empire aux 70 millions rêvé par les partisans de l’Autriche. De tout cela, il n’est aujourd’hui nullement question. On est devenu plus modeste, plus pratique, plus prudent. On a appris qu’il ne suffit pas, pour constituer un grand empire, de rédiger une série de paragraphes de constitution fort innocens. On a vu, précisément par l’exemple de l’Autriche, qu’un grand amas d’élémens disparates et contradictoires ne garantit ni la force ni la sécurité. On ne songe plus qu’à s’affermir ; on fortifie le pouvoir de l’état, dirigeant de telle sorte qu’il puisse en toute occasion étouffer une malveillance rebelle. On n’attire dans le nouvel état fédératif que des princes sur la bonne volonté desquels on puisse compter. Les états plus éloignés du sud ne restent attachés au nord que par le Zollverein et par des traités conformes au droit des gens. Après avoir élevé souvent des protestations dédaigneuses contre la cupidité de la Prusse, ils en sont dès aujourd’hui à craindre qu’on ne les annexe pas ; mais on laisse à l’avenir ces soins-là, on ne fait qu’unir ce qui semble prêt à rester uni. Ainsi s’offrent à la Prusse nouvelle d’abord un territoire continu de près de 24.millions d’habitans, puis les territoires, de la confédération de l’Allemagne du nord, avec 5 millions, indépendamment des états membres du Zollverein dans l’Allemagne méridionale, qui représentent environ 9