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est la capitale, le gouvernement du littoral. Chose curieuse pourtant et qui met en relief ce qu’il y a de distinct dans la destinée de certaines villes, les événemens de la révolution et de l’empire n’avaient rien de défavorable pour l’Italie, à laquelle ils donnaient une commotion qui a puissamment servi à sa résurrection nationale ; ils étaient mortels pour Trieste. La ville istriote n’avait pas trop souffert encore tant qu’elle était restée en dehors des combinaisons napoléoniennes, jusque vers 1809 ; elle avait même prospéré, parce que son port restait ouvert à l’Angleterre, parce que la marine dalmate, désertant Venise depuis 1797, s’était tournée vers elle. Lorsque Napoléon étendait ses conquêtes jusque sur ces côtes et les soumettait à son régime de blocus continental, Trieste périssait étouffée. Après quatre ans de ce régime, elle n’avait plus que vingt-huit navires au long cours !

Ce n’est qu’en 1815 que son commerce reprend son essor. C’est le commencement de l’histoire moderne de Trieste. Alors le port istriote, en retrouvant sa franchise, retrouve l’élément principal de sa puissance. D’année en année, sa population s’accroît pour finir par s’élever jusqu’à cent mille âmes ; ses relations s’étendent avec une rapidité singulière, ses navires sillonnent les mers. Les maisons de négoce affluent, les institutions commerciales et maritimes se multiplient. La marine à vapeur fondée par le Lloyd en 1836 règne sur l’Adriatique et s’empare la première des grandes communications avec le Levant. Trieste devient le centre d’un immense mouvement d’affaires, avec l’Allemagne sans doute, mais pas plus avec l’Allemagne qu’avec d’autres et même moins. Alors aussi s’accentue de plus en plus la rivalité avec Venise, rivalité évidemment favorisée par l’Autriche. Ce que Venise perd, Trieste le gagne, si bien que, quelles que soient désormais les destinées politiques des deux villes, il est infiniment probable que rien ne sera changé dans les conditions économiques où la fortune les a placées l’une vis-à-vis de l’autre. Venise, en renaissant à la vie nationale, en retrouvant par la liberté un mouvement nouveau, restera probablement encore un grand et magnifique musée, — pourvu que l’Autriche ne la dépouille pas trop. Sa jeune rivale de l’autre bord de l’Adriatique restera la cité commerciale. L’importance croissante de Trieste ne s’est vue un moment atteinte que lorsque le réseau des chemins de fer de l’Europe centrale est venu lui disputer l’approvisionnement de l’Allemagne, lorsque le commerce des denrées coloniales, pour ne citer qu’un exemple, au lieu de passer par l’Adriatique, a pris la direction de Hambourg, allant par l’intérieur jusqu’à Laybach et Gratz. Trieste n’a été reliée que la dernière au grand réseau allemand, et elle en a souffert.