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sa science n’a d’autres limites que celles de son intelligence même. On dit, il est vrai : Mundum tradidit disputationibus eorum, et il semble par là que la liberté de penser en matière de science n’est qu’une permission, une concession que l’on couvre ainsi d’une parole de l’autorité ; mais celui qui use de cette liberté sent très bien que ce n’est pas là une faveur, que c’est un droit qui résulte immédiatement de la nature d’un être pensant.

Si la liberté de penser ne trouve pas de limites dans l’ordre rigoureusement scientifique, n’en trouvera-t-elle pas alors qu’on passera des vérités physiques et mathématiques aux vérités morales ? Remarquons d’abord que chacun de nous, dans le cercle de ses perceptions les plus humbles et de ses affaires de tous les jours, revendique très légitimement et exerce sans scrupule le droit de ne s’en rapporter qu’à lui-même. Par exemple, si je déclare qu’il fait jour en plein midi, ce n’est pas sans doute pour l’avoir entendu dire ou pour me conformer à l’opinion reçue, mais parce que je le vois par moi-même. On affirme tous les jours que les hommes s’éclairent par l’expérience. N’est-ce pas dire qu’ils substituent à une sagesse d’emprunt ou à des illusions préconçues une sagesse personnelle qui vient de l’examen ? Lorsque la morale défend les jugemens téméraires, ne nous ordonne-t-elle pas de nous éclairer avant de parler, c’est-à-dire d’examiner, de contrôler, de voir clair par nous-mêmes ? Les plus grands adversaires de la liberté de penser trouveraient sans doute fort incommode qu’on leur nommât un tuteur pour gérer leurs affaires. Ils se croient assez éclairés pour les gérer eux-mêmes, c’est-à-dire pour juger de ce qui convient et de ce qui ne convient pas. Ils ont des conseillers, dira-t-on ; oui, mais ils les choisissent. Ils se trompent souvent, dira-t-on encore. Eh ! qui me prouve que mon tuteur ne se trompera pas ? Lui nommerez-vous un autre tuteur, et à celui-ci un autre, jusqu’à ce que vous arriviez à un tuteur absolu de la société tout entière ? Qui donc aurait le courage de prononcer ainsi l’interdiction du genre humain en masse, un seul homme excepté ? Le plus fougueux des ultramontains consentirait-il à remettre entre les mains du seul juge infaillible non-seulement sa conscience et sa pensée, mais encore ses intérêts et ceux de sa famille ? Bien peu iront jusque-là, et dans les limites de l’intérêt personnel on saura bien réclamer et pratiquer le droit du libre examen.

Il en est de même dans toutes les affaires humaines. Le juge chargé de décider une affaire ne s’en rapporte pas à une illumination d’en haut, à un sentiment confus, à la parole des autres. Nullement, il compare, il analyse, il confronte les témoignages, il apprécie le fait et le droit, et après avoir employé tous les moyens