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conquis, et où elle trouve des populations, des intérêts, des traditions, des habitudes dont une domination étrangère peut se servir comme d’un dernier point d’appui pour sa défense.

Comment s’est formée cette situation complexe où la politique et la géographie sont en guerre ? C’est le travail des siècles, dira-t-on, qui l’a créée, qui a livré ces territoires à des populations plus mêlées, qui a développé dans ce pays de caractère mixte des intérêts distincts, et a imposé par là des bornes à l’expansion de la nationalité italienne. Les montagnes d’ailleurs, ajoutera-t-on, ne sont pas plus que les fleuves des frontières nécessaires, naturelles. — Et quelle est la signification réelle de ce mot de frontières naturelles dans un temps où les fleuves, au lieu d’être une ligne de démarcation, un obstacle, sont un des moyens les plus actifs de communication entre les peuples, où l’art perce les montagnes, adoucit les pentes les plus abruptes, facilite et multiplie les relations entre les versans opposés ? — Je n’ignore pas que le travail des siècles, aidé de tous les moyens énergiques d’une industrie perfectionnée, peut amener par la force des intérêts, par la puissance de l’habitude, de ces déplacemens de frontières, de ces délimitations nouvelles qui triomphent des obstacles naturels ; mais ce qu’il y a justement de frappant, ce qui domine dans la situation de ces provinces revendiquées à la fois par l’Italie et par l’Allemagne, dans cette situation telle qu’elle apparaît encore aujourd’hui, c’est qu’elle n’est pas précisément bien ancienne : elle a une origine toute moderne, elle ne remonte pas au-delà des révolutions territoriales du commencement de ce siècle. L’Istrie n’appartenait pas autrefois à l’Autriche, c’est le traité de Campo-Formio qui la lui a donnée en lui donnant la Vénétie, dont elle était une dépendance. Si une partie du Frioul était autrichienne, l’autre était vénitienne. Trieste avait une sorte d’existence indépendante : c’était une façon de ville libre placée sous la vieille suzeraineté des archiducs d’Autriche encore plus qu’une possession autrichienne, ou à la dernière extrémité une possession autrichienne plutôt qu’une possession allemande. Le Trentin ne se rattachait pas du tout au Tyrol allemand. Ce qu’il y a de caractéristique surtout, c’est la pensée politique qui a dirigé l’Autriche à dater du jour où elle a possédé toutes ces terres de la Lombardie, de la Vénétie, de l’Istrie, du Frioul, de Trente, formant désormais une masse compacte directement reliée aux états héréditaires ; c’est la confusion à l’aide de laquelle la politique impériale s’est appliquée pendant longtemps à fortifier sa domination au-delà des Alpes, dans les provinces limitrophes particulièrement, en essayant toujours d’identifier, en identifiant autant qu’elle l’a pu son intérêt propre et l’intérêt allemand, en engageant le plus possible l’Allemagne dans cette