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sans rapport naturel avec les contrées transalpines. Toutes ces provinces, en un mot, semblent bien faites au premier coup d’œil pour se rattacher au groupe italien, à ce groupe si clairement circonscrit. Ce n’est pas d’aujourd’hui, ce n’est pas dans l’imagination échauffée de quelques patriotes ulcérés ou ambitieux que cette idée a pris naissance. Déjà de son temps, dans une description de la péninsule qui est encore inédite et qui doit voir le jour, Guicciardini, l’historien florentin, étendait le domaine italien jusqu’au sommet des montagnes. Le Frioul, selon lui, était cette contrée placée entre l’Istrie, la mer Adriatique et « les Alpes qui séparent l’Italie de l’Allemagne. » Albona, Terranuova, Pola elle-même, Pola, l’arsenal autrichien d’aujourd’hui, toutes ces villes de l’Istrie étaient désignées par le diplomate florentin comme les dernières localités italiennes du côté du golfe du Quarnaro, connu autrefois sous le nom de Fanatico.

Je ne veux dire qu’une chose, c’est que cette idée d’une Italie embrassant tous les versans méridionaux de la chaîne alpestre n’a rien de moderne, rien qui dérive d’une ambition surexcitée par le succès, rien enfin qui jusqu’à un certain point ne soit dans l’ordre naturel. Il n’est pas moins vrai cependant que depuis longtemps ici la politique est en guerre avec la géographie, et que l’Italie ne va point jusqu’aux Alpes. Ce n’est que du côté de la France que l’Italie a aujourd’hui cette limite naturelle des Alpes où la fixe la cession de la Savoie ; au-delà, c’est la Suisse qui est maîtresse des passages du Saint-Gothard, du Luckmanier, du Saint-Bernard et qui s’avance entre le lac Majeur et le lac de Côme. Plus loin encore, c’est l’ennemi séculaire, c’est l’Allemand maître de tout le reste depuis les Alpes rhétiques jusqu’aux Alpes juliennes, possédant toutes les issues et en créant même de nouvelles pour faire face à des dangers nouveaux, s’étendant progressivement par le Trentin jusqu’au lac de Garde, par le Frioul jusqu’à l’Isonzo et même au-delà. On n’a qu’à jeter les yeux sur une carte ; on verra se dessiner cette marche de la domination étrangère dans le contour intérieur des Alpes, de telle sorte qu’en dehors de la Lombardie et de la Vénétie, dont la nationalité n’a pu jamais être méconnue, même dans la dépendance où elles vivaient, les autres provinces limitrophes ont formé par degrés, aux extrémités septentrionales de la péninsule, comme une masse territoriale plus particulièrement revendiquée par l’Allemagne, soumise à un travail plus actif d’assimilation, systématiquement détachée de l’orbite italien. De là est venue cette situation où, voyant se dresser à l’horizon cette frontière alpestre vers laquelle tend son ambition, l’Italie s’est sentie néanmoins arrêtée devant des territoires que ses armes n’ont point