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L’état qui ne paie pas ses employés fournit un prétexte au vol ; quand le prétexte aura disparu, on aura le droit d’être impitoyable vis-à-vis des caissiers infidèles des deniers publics. Il faut moraliser la classe des fonctionnaires. Du jour où les octrois ne seront plus fraudés, les villes se suffiront à elles-mêmes ; nous en avons eu des exemples. Après le siège de Puebla, le général Brincourt, alors colonel du 1er zouaves, fut nommé commandant supérieur de cet état. La gestion des administrateurs mexicains fut si régulière que Puebla fit de grosses économies, qui furent envoyées à Mexico. Qu’on n’aille pas dire que le brigandage ne peut s’extirper, car toute l’armée fut frappée de la rapidité avec laquelle le calme rentra dans cette province si désolée, et cela grâce à l’énergie du commandant supérieur. Plus tard, quand la pacification sera en bonne voie, on devra se hâter de faire oublier le régime militaire et le règne de la force. Il faut réapprendre au peuple mexicain la vie civile, oubliée depuis tant d’années ; mais que les libertés publiques se défient de la réaction religieuse !

Un des spectacles les plus affligeans que présente tout le pays, c’est la corruption du clergé. Il a fait argent des choses saintes, il a changé la religion en idolâtrie ; il est adonné au jeu, au plaisir, et ne respecte pas toujours l’hospitalité des familles dans lesquelles il pénètre sous le manteau de son ministère. Son influence, surtout sur les Indiens, est déplorable. Il aspire à ressaisir les honneurs et les privilèges politiques dont il jouissait jadis, et conspire jusque dans le palais impérial, où, d’après les dernières nouvelles, des prêtres ont été arrêtés. L’empereur sera renversé par le clergé, s’il ne le renferme pas rigoureusement dans son royaume spirituel.

Nous n’avons pas eu la prétention d’esquisser un plan qui défiât la critique ; mais nous avons la conscience d’avoir mis le doigt sur le mal, d’avoir indiqué les causes principales d’épuisement pour le Mexique. Nous croyons que la moralisation pénétrant dans les masses, l’industrie utilisant le sol et les fleuves, l’émancipation des Indiens enrichis désormais par leur travail, le développement du commerce par la restauration des routes, en un mot le spectacle d’une paix féconde succédant aux horreurs d’une guerre civile, suffiraient pour rappeler les hommes et les capitaux dans le Mexique. Le souverain qui, entré dans cette voie, réussirait à réaliser ce programme, aurait la double gloire d’avoir su, par un sacrifice désintéressé et intelligent, arracher à la barbarie un des plus beaux pays du monde, et d’avoir fondé sur des ruines un nouvel empire dont il serait le véritable créateur.


Cte E. DE KÉRATRY.