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qu’ils ne peuvent plus que de raison s’emparer au regard en l’intéressant seulement aux procédés, ni laisser l’esprit incertain sur la signification morale de l’œuvre, sur la nature des sentimens qui l’ont inspirée. L’antique lui-même n’est si instructif que parce qu’il traduit un certain ordre de vérités sans complications, sans subtilités d’aucune sorte, et, parmi les monumens de l’antiquité, les plus favorables souvent à l’éducation des artistes modernes sont ceux qu’appartiennent aux époques les plus rapprochées de la période des débuts. Par la franchise des inspirations et la sobriété du style, par ce qu’elles nous enseignent d’un art au-dessus des raffinemens et des ruses, les fresques des catacombes et les œuvres des trecentisti italiens peuvent avoir sur les progrès de notre temps une influence analogue. N’est-ce pas d’ailleurs à partir du jour où l’on a commencé de consulter ces lointains exemples que la peinture religieuse a été régénérée dans notre pays ? Ne sont-ce pas là les modelés qu’avait choisis Hippolyte Flandrin, les secours du moins dont il s’aidait, non pour s’attribuer, comme certains peintres allemands, le faux-semblant d’un droit à l’imitation impitoyable des formes du moyen âge, mais pour contrôler sans l’asservir son propre sentiment, pour en confirmer les suggestions en les associant au souvenir de ces purs témoignages de la sincérité et de la bonne foi ? Puissent les principes si noblement développés sur les murs de Saint-Vincent-de-Paul et de Saint-Germain-des-Prés persuader parmi nous d’autres talens et les préserver des tentations mesquines ou des séductions grossières ! Quant aux talens dès longtemps convaincus qui nous restent, quant à ceux dont les efforts ont tendu jusqu’ici à maintenir l’art dans cette sphère des choses de l’âme où les maîtres l’avaient d’abord fait entrer, puissent-ils redoubler de zèle et multiplier, en face des entreprises contraires, les résistances et les démentis ! Mieux que toutes les dissertations et les considérations historiques, leurs œuvres auront raison de nos ingratitudes ou de nos faiblesses. C’est à elles surtout qu’il appartient de nous prémunir ou de nous désabuser en rejetant dans l’ombre qu’elles méritent les tristes supercheries d’un idéalisme sans entrailles, aussi bien que les méprises matérialistes qu’on voudrait ériger en doctrine esthétique, et nous donner, sérieusement ou non, pour l’expression de la vérité.


HENRI DELABORDE.