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dernières années du XIIIe siècle, avait fait plus qu’entrevoir et reproduire quelques linéamens de la réalité. Il lui avait dérobé déjà plus d’un secret intime, en attendant le jour où, mieux informé encore, il allait, comme dit Vasari, « ressusciter » l’art du portrait et livrer aux regards des Florentins les images strictement ressemblantes de Dante, de Brunetto Latini, de Corso Donati, dans la fresque qui orne l’ancienne chapelle du palais du podestat.

Sous d’autres rapports d’ailleurs, les travaux successivement accomplis par Giotto soutiendraient la comparaison avec les chefs-d’œuvre les plus renommés de la peinture dans toutes les écoles et à toutes les époques. Les compositions de fra Angelico lui-même sur l’Adoration des Mages et sur la Fuite en Égypte n’ont pas plus d’onction et de grâce que ces deux scènes n’en empruntent au pinceau de Giotto dans l’oratoire dell’ Arena à Padoue. Je ne crois pas qu’aucun peintre ait trouvé des formules allégoriques plus énergiques, plus expressives, que les figures de la Force, de la Tempérance, de l’Incrédulité, peintes sur les murs de la même chapelle. Les sujets tirés de la Passion, de la vie de la Vierge ou de l’histoire de saint Jean-Baptiste ont-ils été traités jamais avec un sentiment plus profond du pathétique, avec une imagination mieux inspirée qu’au temps où le maître exécutait soit ces fresques de l’oratoire de Padoue, soit celles qui décorent à Santa-Croce de Florence la chapelle des Peruzzi ? On ne finirait pas, si l’on entreprenait de relever chacune des preuves de-fécondité ou de puissance que nous a léguées ce merveilleux génie. Et cependant, quelque nombreux qu’ils soient encore, de pareils témoignages ne constituent pas la moitié peut-être de ceux qu’on pourrait invoquer, si toutes les peintures de Giotto avaient survécu. Combien d’œuvres mentionnées par Vasari ont disparu sous la pioche qui démolissait les murailles ou sous les mains, plus outrageantes encore, qui les badigeonnaient ! Où trouver maintenant quelques traces de tant de travaux importans à Rome, à Milan, à Ravenne, dans bien d’autres villes encore[1], car, depuis Vérone jusqu’à Naples, il n’en était

  1. De tous les travaux de Giotto à Rome, il ne subsiste plus aujourd’hui que la grande mosaïque exécutée d’après ses dessins et restaurée, c’est tout dire, sous la direction de Bernin, qui orne le vestibule de Saint-Pierre, — dans la sacristie de la même église trois panneaux peints chacun sur l’une et l’autre face, — à Saint-Jean-de-Lutran une fresque commémorative du jubilé de 1300, trop endommagée par le temps et par les retouches pour qu’il soit possible d’en deviner l’état primitif. Ravenne, que nous sachions, ne possède de la main de Giotto que le plafond fort retouché aussi d’une chapelle dans l’église de Saint-Jean-l’Évangéliste, et Milan qu’un tableau, une Vierge, conservé dans le musée Bréra. Nous ne parlons pas des prétendues peintures du maître dans une des salles de l’ancien château des papes à Avignon. Non-seulement ces peintures ne justifient sous aucun rapport l’origine illustre qu’on leur attribue, mais il est vraisemblable même, quoi qu’en aient dit Vasari et beaucoup d’autres écrivains après lui que Giotto ne séjourna jamais à Avignon, Benoit XI, qui l’y avait appelé, étant mort, comme le font remarquer MM. Crowe et Cavalcaselle, avant que le peintre ait eu le temps de s’y rendre.