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à maintenir Cimabue, plusieurs de ceux qui défendent aujourd’hui les droits de Guido de Sienne, de Berlinghieri de Lucques ou de Margaritone d’Arezzo ne laissent pas d’obéir peut-être à quelque secrète suggestion du vieil esprit municipal, à quelque souvenir involontaire des anciennes divisions politiques et des rivalités passées.

N’y aurait-il pas un moyen pourtant de donner satisfaction à tout le monde, et de ramener, sur cette question pittoresque si vivement débattue, les opinions italiennes à l’unité que l’on poursuit ailleurs ? Ce serait de distinguer entre les argumens favorables seulement à la priorité chronologique des œuvres et les preuves qui en établissent le mérite intrinsèque ; ce serait, comme nous le disions en commençant, de ne plus confondre les curiosités de l’archéologie avec les symptômes de l’art, les doyens des monumens de la peinture avec les premiers-nés du talent. Plus de contestations alors, plus de querelles sur des hypothèses. Quelques vérités essentielles et manifestes auraient, une fois pour toutes, raison des interprétations secondaires ou des préjugés de parti. Tout en accordant, — ce qui ne serait ni difficile ni méritoire pour personne, puisque les dates existent, — que les peintres florentins du XIIIe siècle ont eu des devanciers à Sienne et à Pise, tout en reconnaissant même, avec un des derniers et des plus ardens adversaires de la cause florentine[1], que Vérone est en mesure de fournir sur ce point des témoignages de sa fécondité, on constaterait, en dehors de ces particularités historiques, les progrès pittoresques là où ils apparaissent effectivement à Florence dans les tableaux de Cimabue, — à Sienne dans l’admirable série de compositions sur la Passion peinte par Duccio et que possède la cathédrale de la ville, — à Rome enfin dans les mosaïques de Santa-Maria-in-Trastevere, exécutées avant la seconde moitié du XIVe siècle par Pietro Cavallini, avec un talent digne de trouver son emploi ailleurs que dans la pratique de procédés qui désormais avaient fait leur temps.

Un des mérites du livre publié par MM. Crowe et Cavalcaselle est de tendre à simplifier en ce sens les difficultés dont on a compliqué l’histoire des origines de la peinture italienne. Quelque scrupuleux qu’y soit l’examen des questions de millésime ou l’exposé des faits que l’érudition moderne a retrouvés, cette sorte de règlement de compte avec certaines exigences du sujet n’en laisse pas moins une part principale aux enseignemens qu’il importait surtout de nous donner, et dont il convenait de rechercher les élémens dans les œuvres elles-mêmes plus encore que dans les

  1. M. Cesare Bernasconi, Studj sopra la storia della pittura italiana e della scuola pittorica Veronese. Vérone 1865.