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de la peinture italienne au XIIIe siècle, il n’en demeure pas moins le plus remarquable par le talent, le plus influent par les exemples. À ce titre, la renommée exceptionnelle qu’on lui a faite ne doit pas paraître usurpée, et le tort n’est pas grand après tout d’avoir quelque peu négligé pour elle des réputations moins visiblement justifiées, des droits moins sûrement établis.

Il arrive bien rarement au surplus que la postérité se méprenne absolument en pareil cas, et qu’en s’obstinant dans la reconnaissance envers la mémoire d’un homme, elle ne fasse que perpétuer un préjugé. Sa gratitude peut être à quelques égards excessive, mais elle a au fond pour principe un juste instinct de la vérité et comme une fidélité naturelle aux souvenirs dignes de prévaloir. Que n’a-t-on pas tenté, depuis un demi-siècle, pour déposséder de leur gloire Gutenberg et Finiguerra ! Que de pièces retrouvées et produites pour démontrer que les deux prétendus inventeurs de l’imprimerie et de la gravure avaient eu chacun des devanciers ! Et pourtant, malgré ces preuves authentiques, malgré les fragmens des Douats conservés à Harlem et les estampes allemandes ou néerlandaises antérieures aux nielles florentins, les noms de Gutenberg et de Finiguerra continuent à bon droit de personnifier la double découverte. Les Lettres d’indulgence, imprimées en 1454, et l’épreuve de la Paix, gravée deux ans auparavant, n’ont pas cessé et ne cesseront pas d’en représenter les premiers résultats, parce que ces beaux monumens de la typographie et de la gravure marquent la fin des essais préalables et de la période des tâtonnemens, parce qu’ils installent l’art et un art désormais sûr de lui-même là où l’on n’aurait pu surprendre que les présages d’une industrie incertaine et, pour ainsi parler, des procédés en formation.

Les privilèges attribués par l’opinion à Cimabue ont une raison d’être analogue. Il y a de l’intérêt sans doute, il y a surtout pour l’historien un devoir de conscience à contrôler les traditions, à rechercher, par-delà les succès consacrés, les symptômes qui permettent de les pressentir ou les faits oubliés qui les expliquent. Il ne faut pas toutefois que le goût des réhabilitations et des découvertes dégénère en prévention systématique contre ce qui a été généralement admis, et que, sous prétexte de rétablir la succession des choses, on arrive en réalité à intervertir l’ordre ou à méconnaître l’importance relative des talens. Nous n’affirmerions pas que MM. Crowe et Cavalcaselle aient toujours su se préserver des tentations de cette espèce. Peut-être le plaisir de reconquérir sur l’oubli quelque œuvre ou quelque nom les a-t-il parfois un peu distraits d’autres tâches moins neuves, mais plus utiles encore. En tout cas, si cette prédilection pour certains problèmes archéologiques ne