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personnelle, tels progrès imprévus, tels travaux en éloquent démenti avec les coutumes du moment répondront que les belles œuvres ne dépendent pas uniquement des bonnes conditions environnantes, que tout, dans le domaine de l’art, n’est pas affaire de mœurs et de milieux, de fluides ambians et d’atmosphère. Encore faudrait-il, à côté et au-dessus de ces influences inhérentes à la civilisation ou au climat, pressentir l’élément mystérieux qui les féconde, et qui des dons faits en apparence à tous tire en réalité un privilège pour quelques-uns. Là, comme ailleurs sans doute, « l’esprit de Dieu souffle où il veut, » et l’ambition nous semblerait étrange de prétendre en régler les caprices, ou de s’armer de l’histoire qui les proclame pour en nier, pour en anéantir l’action.


I

D’où vient par exemple qu’après tant d’années d’engourdissement et de sommeil l’art se soit réveillé comme en sursaut sous la main du sculpteur Nicolas de Pise, ou que, un peu plus tard, le génie de Dante ait converti tout à coup en un fleuve de poésie l’humble source qui n’avait jailli encore que pour alimenter la veine des premiers poètes franciscains ? A ne parler que de la peinture et des peintres, pourquoi un Ducoio à Sienne ou avant lui un Cimabue à Florence fait-il, du jour au lendemain, oublier ses prédécesseurs, et réussit-il à s’emparer de la renommée, comme d’autres vers la même époque, se saisissent du pouvoir politique, — de vive force et sans perdre leur temps à chercher des prétextes ? Était-ce donc que l’état des mœurs, pudiques à ce moment, dût nécessairement susciter un pareil progrès ? Rien n’annonce pourtant que les mœurs se fussent fort sensiblement modifiées dans le sens d’une réforme pittoresque, et que les traditions byzantines dont on s’accommodait depuis le bas-empire eussent commencé à perdre de leur crédit. La fameuse Madone de Cimabue, triomphalement promenée dans les rues de Florence en 1267, ne traduisait pas les idées et les besoins du temps plus exactement, que ne les représentaient la veille les fresques ou les mosaïques exécutées suivant la vieille méthode. Elle exprimait les hardiesses d’une imagination d’élite ; elle révélait, elle livrait à l’admiration de la foule un art nouveau. Reste à savoir toutefois jusqu’à quel point les innovations s’isolaient du passé ou déconcertaient les habitudes présentes, dans quelle mesure on doit à ce sujet se fier au récit de Vasari, quels précurseurs enfin avaient pu préparer la voie au peintre en qui l’on a coutume de saluer une sorte de messie de l’art italien ; car tout en attribuant sa part légitime à l’action, à l’inspiration personnelle, tout en