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trouvé inexact ; il manque un fuang. — O madame, combien vous me dites d’injures ! un fuang certainement n’a pas la grosseur du genou. — Oh ! tu t’obstines à disputer ; s’il n’a pas la grosseur du genou, pourquoi ne le cherches-tu pas ? — O ma mère, je n’ai encore pu le trouver. — Tu cours après ton galant, c’est pour cela que tu ne l’as pas cherché. — O ma mère, vous m’injuriez beaucoup ; vous me coupez en morceaux par vos paroles. » D’autres dialogues mettent de même en scène les talapoins, les mandarins, etc.

Outre les trois ports dont on vient de parler, il n’y a guère à citer sur cette côte que quelques villages, ceux d’Anghin et de Bangplasoï surtout, où les Européens de Bangkok viennent changer d’air et respirer plus librement la brise de mer, puis, entre Chantabon et Kampot, le bel estuaire du Compongsom, où aboutit la limite un peu vague de Siam et du Cambodge. Ce vaste bassin intérieur, fermé du côté du large par une chaîne d’îles laissant entre elles jusqu’à six passes également praticables, est sans contredit la plus belle position maritime du golfe de Siam. Peut-être le fond de l’estuaire a-t-il été jadis le siège d’une ville, si l’on en juge par quelques vestiges de forts et de routes ; mais on n’y voit aujourd’hui qu’une chétive bourgade de pêcheurs séparés du reste du monde. Ce fut la dernière étape de cette tranquille croisière. Deux jours après, nous avions rallié le Meinam, et nous y mouillions en dedans de la barre, un peu au-dessus de Paknam, devant un fort abandonné, mais non ruiné, dont les blanches embrasures tranchaient sur le vert métallique des palétuviers. La carte le désigne sous le nom de Dutch-Folly. Construit au siècle dernier par les Hollandais de Java, qui avaient obtenu l’autorisation d’y établir un comptoir, il nous rappelait l’étrange existence des patiens et énergiques pionniers qui ont créé le commerce de l’extrême Orient. Arrivé avec une mousson, le navire ne repartait alors qu’avec la suivante ; c’était assez que chaque année suffit de la sorte à un voyage. Et pendant tout le temps que durait ce long séjour, cantonné dans un étroit espace par la défiance systématique des indigènes, à Siam, comme en Chine, comme au Japon, l’exilé vivait sans se plaindre en une véritable prison. Avec quelle lenteur les journées devaient se succéder pour les pauvres matelots, mal soutenus par l’espoir d’un profit incertain, dans ce trafic dont ils n’étaient que l’instrument ! Mais ces folies, puisque tel était le nom consacré pour les factoreries de ces mers, ces folies ont été le fondement, de la grandeur européenne là où elles s’élevaient, et les fous dont elles nous gardent la mémoire, comme ceux du chansonnier, croyaient au lendemain sans peut-être en avoir conscience. L’avenir leur a donné raison.


ED. DU HAILLY.