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d’enceintes successives gardées par les statues de géans difformes et monstrueux, s’élève le temple spécialement affecté à Bouddha. Le dieu y est représenté tantôt sous la forme de centaines de figures dorées de grandeur naturelle, dans la pose méditative consacrée par l’usage, tantôt, comme dans la pagode Xétuphon, couché, toujours doré, et de la colossale dimension de 50 mètres de la tête aux pieds ; ses traits, fixés par une tradition probablement exacte, ne varient pas. Autour de lui, en guise d’offrandes votives, sont des arbustes aux feuilles d’or et d’argent. Dans ces calmes asiles, la journée des bonzes s’écoule avec une uniforme sérénité qu’on est involontairement tenté d’envier. Ces cours sont si fraîches sous leurs épais dômes de verdure, l’eau s’y épanche dans les bassins avec un murmure si caressant, que les heures de cette vie contemplative semblent réglées par le génie du repos éternel. Les premières lueurs de l’aurore voient pourtant les bonzes se répandre par la ville. Vêtus de jaune, la tête et les sourcils rasés, l’éventail en feuilles de palmier à la main, ils vont de porte en porte recevoir dans la marmite obligatoire dont ils sont porteurs les offrandes des âmes pieuses, riz, poisson, fruits, légumes ; à la porte de chaque maison est une table sur laquelle ont été disposées d’avance les provisions qui leur sont destinées. Ils rentrent de manière à avoir terminé avant midi le repas qu’ils ne doivent renouveler que le jour suivant, et le reste du temps est partagé entre d’indolentes causeries, quelques leçons aux écoliers et des pratiques religieuses d’une austérité très mitigée. 10,000 bonzes vivent ainsi à Bangkok, 100,000 dans tout le royaume, allant de pagode en pagode, et partout alimentés par la charité publique, qui ne leur fait jamais défaut. Leurs vœux n’étant pas perpétuels, on les voit souvent rentrer dans la vie ordinaire après quelques années ; le souverain actuel est dans ce cas. J’allais parfois passer avec eux quelques-unes des heures brûlantes de l’après-midi, et je les trouvais entourés de visiteurs, savourant en commun, avec une paresseuse sensualité, les délices permises du thé, du bétel et du tabac. Malgré la chasteté obligatoire dont le talapoin fait vœu et qu’il observe, beaucoup de ces visiteurs étaient des femmes ; et nul n’en médisait, car les prescriptions de Çakya-Mouni[1] ne sont pas celles de Siméon stylite.

  1. On connaît assez exactement aujourd’hui, non-seulement la légende, mais aussi en ses points principaux, l’histoire du fondateur du bouddhisme, nommé Çakya-Mouni dans l’Inde, et Samana Khodom à Siam, mort vers l’an 534 avant Jésus-Christ, peu après l’époque du prophète Daniel. La tradition, orale d’abord, ne se perpétua par écrit qu’à partir du IIe siècle de notre ère. Les premiers livres bouddhiques sont sortis de l’île de Ceylan.