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sans peine son souverain à expédier auprès de Louis XIV deux mandarins avec une mission dont le résultat ne se fit pas attendre : ce fut la pompeuse ambassade du chevalier de Chaumont, suivie peu après de l’envoi de quelques centaines de soldats français sous le commandement du général Des Farges. Ce triomphe toutefois fut de courte durée. L’entreprise était trop prématurée pour ne pas mettre en éveil toutes les défiances du vieux parti siamois, instinctivement devenu national et conservateur, et en 1689 l’infortuné Phaulkon, à peine âgé de quarante ans, tombait victime d’un complot organisé par les grands du royaume. Son caractère a été très diversement apprécié. Sous la plume du père d’Orléans, jésuite, sa vie est naturellement devenue une sorte de légende merveilleuse dont il est le héros et le martyr ; mais elle ressort sous un jour différent et peut-être plus vrai des témoignages du chevalier de Forbin et de l’Allemand Kœmpfer, qui voyageait dans ces mers de 1690 à 1693. Ils ne cachent pas ses défauts. Selon eux, la religion ne fut entre ses mains qu’une arme habilement employée. D’une ambition démesurée, d’une avarice insatiable et sordide, d’une jalousie qui, prenant ombrage des moindres choses, le rendait dur, cruel, impitoyable et de mauvaise foi, il considérait tous les moyens comme bons pour marcher à son but, et Forbin va jusqu’à l’accuser d’avoir à diverses reprises attenté à ses jours par le fer et le poison. Toujours est-il que, de l’aveu de ce même Forbin, c’était un véritable homme de génie, à l’âme noble et élevée dans la conception de ses projets, à la main sûre et énergique dans l’exécution. Comme tant d’autres, il voulut devancer son temps, et périt sacrifié à son œuvre. On voit encore aujourd’hui à Nophaburi (la Louvo de l’abbé de Choisy), éparses sur le sol, les ruines d’une somptueuse demeure aux vastes proportions. Des fragmens de marbre gisant parmi les débris témoignent du goût et de la magnificence du fondateur ; c’est bien là, dit M. Mouhot, l’architecture contemporaine des splendeurs de Versailles. Seule, la chapelle est restée debout, et sur le baldaquin d’un autel à colonnes cannelées dans le style du XVIIe siècle on lit cette inscription : Jésus hominum salvator. Ce palais était celui de Constance Phaulkon ; c’est le seul souvenir que l’on puisse trouver dans le pays de cette brillante et tragique carrière.

Sa mort ouvrit une longue période de troubles, de luttes intestines, de conspirations, de meurtres et d’intrigues de sérail, dont profita habilement le roi de Birmanie, voisin et éternel ennemi de Siam, jusqu’à ce que, en 1767, une formidable invasion de Birmans balayât les derniers descendans de la dynastie qu’avaient connue Phaulkon et le chevalier de Chaumont. Le torrent détruisait en même temps, après 417 ans d’existence, Ayuthia, la splendide capitale tant