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pas du tout, et acceptent les objections aussi servilement que les autres les dogmes, et il y a eu au contraire des croyans qui ont eu la manière de penser la plus libre et la plus hardie. Ce n’est donc pas la chose même que l’on pense qui fait la liberté, mais la manière dont on la pense.

Grâce au malentendu que nous venons d’expliquer, la cause de la liberté de penser, quelques progrès qu’elle ait faits dans la société moderne depuis le XVIe siècle, est loin d’être entièrement gagnée, même auprès des esprits éclairés. Beaucoup d’objections, de défiances, de malentendus, couvrent encore la solide et éclatante vérité que ce principe exprime ; on en subit la nécessité sans en comprendre la justice, on en accepte les inconvéniens sans en attendre beaucoup de bienfaits. On est toujours porté à considérer comme des coupables ceux qui veulent user librement de leur raison et ne se soumettre qu’après discussion à la raison d’autrui. On dénonce sans cesse les libres penseurs comme portant atteinte à toutes les lois divines et humaines, comme menaçant les bases mêmes de la société, comme effaçant la distinction du bien et du mal au profit de l’anarchie et du triomphe des passions. Il se trouve encore des esprits qui, même dans l’ordre de la foi, voudraient que l’état intervînt pour fixer ce qu’il faut croire et ce qu’il est permis de ne pas croire. Le retour au moyen âge serait la vraie conséquence de ces déclamations, si elles se comprenaient elles-mêmes, et quelques-uns ne reculeraient nullement devant cette conséquence.

Il y a donc beaucoup à éclaircir encore en cette question, et nous sommes pour notre part d’autant plus disposés, et je dirai presque autorisés, à défendre dans toute sa latitude le principe de la liberté de penser, que nous n’appartenons pas en philosophie à ce que l’on peut appeler les partis extrêmes. De même qu’en politique le vrai libéral veut la liberté non-seulement pour lui-même, mais encore pour ses adversaires, de même dans l’ordre de la pensée et de la foi on ne peut être assuré de posséder la vérité qu’à la condition de lui avoir fait subir toutes les épreuves de la critique. Une vérité dont on n’a pas douté est une vérité problématique. Elle n’a passé à l’état définitif de vérité que lorsqu’elle a traversé saine et sauve le feu de la discussion. La liberté de penser est donc le droit commun de toutes les écoles philosophiques : elles ne sont philosophiques qu’à cette condition. C’est là pour nous le premier principe, et par rapport à cette condition fondamentale les dissidences ultérieures n’ont en quelque sorte qu’une importance secondaire.

Un jeune écrivain, nouveau-venu dans la carrière philosophique, vient d’examiner avec beaucoup de soin dans un livre distingué toutes les questions relatives à ce grand problème de la liberté de