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un mouvement de juste fierté : « Puisqu’on ne voulait rien lui concéder, eh bien ! il serait difficile à son tour. Il ne s’écarterait pas d’une ligne des instructions qui lui avaient été données au sujet de l’institution canonique, et, laissant de côté le caractère des constitutionnels, on pouvait compter qu’il porterait le scrupule jusqu’au dernier degré dans l’examen de leurs qualités. » Le premier consul accueillit cette menace avec un dédain marqué[1]. Il ne répondit même pas au cardinal Caprara ; mais se tournant vers M. Portalis : « Vous avez entendu ce que veut le légat ; vous en répondrez. » M. Portalis se mit ensuite, par ordre du premier consul, à donner lecture au cardinal Caprara de tous les articles du système organique relatif au culte et à ses ministres. Il accompagna même cette lecture d’assez longs développemens ; mais il ne paraît pas que le légat, encore troublé des scènes qui venaient d’avoir lieu, ait prêté grande attention à ces articles, qui devaient plus tard soulever à Rome de vives et de persistantes réclamations. Dans la lettre confidentielle si triste, si accablée, qu’au sortir de cette audience il écrit au secrétaire d’état, c’est à peine si le cardinal en fait mention. Une autre préoccupation semble l’absorber entièrement, celle de répondre au reproche qu’on pourrait lui faire à Rome d’avoir donné au sujet du choix des évêques des espérances que l’événement ne réalisait point. « Votre Éminence me rendra cette justice, écrit-il au cardinal Consalvi, que je lui ai toujours dit que les délais nous seraient funestes, et qu’en lui rendant compte des espérances qui m’étaient données qu’il n’y aurait point de constitutionnels nommés, je terminais toujours en faisant observer que jusqu’au jour où nous aurions en main les nominations formelles il ne faudrait pas se tenir tranquille. Mes pressentimens se sont malheureusement justifiés, et votre éminence en trouvera dans ma dépêche d’aujourd’hui la douloureuse histoire. Je ne saurais dire la semaine que je viens de passer. J’ai pleuré, j’ai prié, j’ai remué ciel et terre ; mais ciel et terre sont demeurés sourds à ma voix[2]. » Celui qui traçait ces lignes lamentables n’était point cependant arrivé, tant s’en faut, au terme de ses tribulations, et de nouvelles surprises non moins pénibles l’attendaient encore.

Le 9 avril suivant, le représentant du saint-siège était reçu en audience solennelle par le premier consul. Tous les ministres et les membres du conseil d’état étaient présens. Ainsi que le cardinal l’avait mandé à sa cour, on lui avait promis qu’il ne serait pas tenu de prêter le serment qu’on exigeait autrefois des légats à latere.

  1. Correspondance du cardinal Caprara, 4 avril 1802.
  2. Lettre confidentielle du cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 4 avril 1802.