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d’être pour nous un Charlemagne[1] ? » Néanmoins peu de jours après il reprend intrépidement espoir, car il a revu le premier consul. Il se croit donc en mesure d’affirmer de nouveau au cardinal Consalvi que « celui-ci a toujours de bonnes intentions, mais que, par politique sans doute, il ne veut pas les laisser voir[2]. » Dans une audience qu’il donna le 13 mars au cardinal-légat, le premier consul, tout en ayant grand soin de ne point s’engager formellement avec lui, s’était en effet appliqué, suivant le plan qu’il s’était proposé, à ne pas détruire entièrement ses illusions. « Il lui fit remarquer qu’il avait déjà donné Pesaro au pape, et bientôt il lui remettrait Ancône. « Le cardinal, tout en remerciant, objecta que la possession de ces deux villes ne pouvait pas suffire à rétablir les finances pontificales, dont la pénurie était extrême : à quoi le premier consul répondit que, de la main à la main, suivant l’expression reçue, il fournirait volontiers de temps à autre un million au pape. Le légat ayant fait semblant de ne pas entendre cette insinuation et reprenant de plus belle ses doléances sur la détresse du saint-père, Napoléon se reprit à dire que, s’il voulait, il lui ferait passer secrètement de l’argent. Au lieu d’accepter, Caprara nomma les légations. « La terre n’a pas été faite en un jour, répliqua en souriant son interlocuteur, ni Saint-Pierre non plus. » Puis de la meilleure grâce il termina l’entretien en disant : « Le pape doit avoir confiance en moi[3]. »

Au sujet des évêques à nommer, le premier consul n’hésita pas à prendre les mêmes habiles précautions, afin que le représentant du saint-siège ne soupçonnât point ses véritables intentions. Il y réussit parfaitement. Plus le moment approchait, plus le cardinal Caprara se laissait aller à croire qu’il avait persuadé Napoléon, et qu’il n’y aurait probablement pas de constitutionnels parmi les nouveaux évêques. Les assurances d’abord un peu vagues qu’il avait fait parvenir au Vatican devenaient chaque jour plus formelles. Il écrivait le 27 février au cardinal Consalvi : « Tout ce qui m’a été dit depuis quelque temps me donne de plus en plus lieu de me flatter que le concordat sera prochainement publié, et grâce à Dieu j’ai aujourd’hui un nouveau motif d’espérer qu’il n’y aura pas d’intrus. Si cet espoir se réalise, je me déclarerai alors parfaitement content, et j’aurai obtenu ce que je souhaitais avec le plus d’anxiété… » — « J’ai la certitude, ajoute-t-il un peu plus tard, qu’il n’y a pas un seul intrus sur la liste des sujets à nommer qu’a

  1. Correspondance du cardinal Caprara, 15 février 1802.
  2. Ibid.
  3. Ibid., du 13 mars 1802.