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suppléer à la pénitence qui lui était due. » En réalité, M. de Talleyrand n’était pas très consulté sur les affaires ecclésiastiques par le premier consul, qui se défiait de sa situation d’ancien évêque trop intéressé à mériter l’indulgence du saint-siège. La préoccupation principale du ministre des relations extérieures était alors d’épouser la belle Mme Grand, chargée de faire les honneurs de son salon, et qui, dînant auprès du cardinal Caprara, n’avait pas manqué de saisir un jour cette occasion de se recommander par son intermédiaire aux bontés du saint-père. Les relations habituelles du légat avec Mme Bonaparte, à laquelle il avait, de la part de sa sainteté, remis un magnifique chapelet, ce qui avait excité toute la joie et toute la reconnaissance de la femme du premier consul, celles qu’il avait formées avec Hortense de Beauharnais mariée par le légat à Louis Bonaparte, avec Mme Murat (Caroline Bonaparte), qui avait tenu à lui faire bénir aux Tuileries son union religieuse avec l’aide de camp de son frère[1], toutes ces politesses empressées et ces aimables prévenances du petit cercle féminin qui entourait le premier consul avaient singulièrement ajouté aux flatteuses espérances dont se berçait le cardinal Caprara ; mais c’était surtout dans les conversations de Napoléon lui-même que le légat puisait les motifs de sa sécurité. Il notait ses moindres paroles, et les rapportait à sa cour en les commentant d’une façon souvent exagérée dans le sens de ses propres désirs. « Un jour qu’il était à table à ses côtés, le premier consul, l’apostrophant tout à coup, lui avait dit avec une véritable bonne grâce : Voudriez-vous les légations ? — Je lui ai répondu comme je le devais, ajoute le légat, et il a repris : Nous verrons[2]. » Cette simple interrogation lui fait l’effet d’une promesse presque formelle. C’est à peine si l’annonce de la réunion prochaine des envoyés de la république cisalpine à Lyon suffit à ébranler un instant sa facile créance. Il est persuadé que la tendresse du premier consul pour le pape et sa résolution de ne point se brouiller avec Rome resteront les plus fortes[3]. « L’idée que le premier consul manifeste au sujet des légations, écrit-il le 2 janvier 1802, c ? est de vouloir les restituer par grandeur d’âme et de suivre ainsi l’exemple des anciens monarques français ; il me l’a donné à entendre indirectement en tout dernier lieu[4]. » La nouvelle que le premier consul, pendant son séjour à Lyon, a promis les légations aux Cisalpins, le trouble un peu. « Comment concilier avec tout cela la promesse qu’il nous a faite

  1. Dépêche du cardinal Caprara, 24 décembre 1801, 27 mars 1802.
  2. Correspondance du cardinal Caprara, 19 décembre 1801.
  3. Ibid., 2 janvier 1802.
  4. Ibid., 15 février 1802.