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meilleure du royaume des Deux-Siciles. Peut-être aurait-il bien fait d’engager le saint-père à ne parler ni d’Avignon ni de Carpentras, qui avaient jadis été réunis à la France par un décret de l’assemblée constituante. Quoi qu’il en soit, le ton modeste et presque humble de cette missive, l’appel intime et confidentiel que le vénérable pontife, dépouillé du patrimoine de ses prédécesseurs, lui adressait avec tant de candeur n’étaient pas de nature à déplaire à l’orgueil du futur dominateur de l’Europe. Ne voulant cependant ni rien accorder ni rien refuser absolument, le premier consul prit le parti de laisser la porte ouverte à toutes les espérances et de dissimuler ses véritables intentions jusqu’au jour où il deviendrait nécessaire de les déclarer et de les imposer à la fois par quelque coup d’autorité. Telle fut la tâche qu’il s’imposa et qu’il poursuivit avec une profonde habileté jusqu’à la veille de la publication du concordat. On voit par les Mémoires de Consalvi et par ses dépêches que le perspicace secrétaire d’état, quoique résolu à n’en rien témoigner, avait deviné de loin ce jeu du premier consul ; Pie VII lui-même, si peu porté à la méfiance, n’était pas sans ombrages. Le légat seul, placé sur les lieux, mais en butte aux fascinations qu’exerçaient sur lui les façons tour à tour pleines d’autorité ou de bonne grâce de l’homme prodigieux avec lequel il avait à traiter, se laissait aller sur son compte à d’étranges illusions.

Depuis que la colère dont il avait essuyé à la Malmaison les premiers et rudes assauts avait derechef fait place, de la part de Napoléon, à de meilleurs procédés envers le saint-siège et à des attentions particulièrement aimables pour sa personne, Caprara avait repris peu à peu sa confiance des premiers jours. Elle semblait motivée par quelques-uns des actes récens du premier consul. C’est ainsi qu’il avait dernièrement fait rapporter à Rome le corps de Pie VI, mort à Valence en 1799 après deux années de captivité. L’île de Malte devant, d’après les préliminaires de paix récemment signés à Londres, faire retour à l’ordre des anciens chevaliers, il était entré en pourparlers avec le pape afin de choisir d’un commun accord un nouveau grand-maître. Ces marques de la bonne volonté du gouvernement français avaient été fort sensibles au légat. Depuis le départ pour Rome de Mgr Spina et du père Caselli, envers lesquels Napoléon n’avait jamais été bien disposé, parce qu’il les croyait contraires à ses desseins, Caprara était resté seul chargé des affaires de sa légation. Il inclinait de plus en plus à se montrer complaisant envers le premier consul, qui, dès cette époque, lui destinait le siège archiépiscopal de Milan, riche apanage dont il allait avoir à disposer bientôt comme protecteur de la nouvelle république italienne. Les dépêches du cardinal-légat nous le montrent,