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pape me paraît croire, continuait M. Cacault, qu’il vaudrait mieux que le premier consul dans ses premières nominations ne choisît aucun des anciens évêques ni aucun des constitutionnels plutôt que d’en placer de l’un et de l’autre parti. On pense à Rome que ce qui a été fait en France par rapport aux préfets ne peut pas directement s’appliquer aux évêques. Le premier consul a réuni tous les partis et choisi dans toutes les opinions ; il a placé à la tête des départemens beaucoup de personnes qui n’avaient pas marqué dans la révolution aux mêmes époques, et qui peut-être s’étaient réciproquement persécutées. On soutient ici que la même chose ne pourrait réussir à l’égard des évêques, parce qu’en matière de religion on ne connaît que l’unité. Tous les jours on peut renoncer à une opinion politique. Un préfet est l’organe d’une loi écrite et précise. Il peut subordonner sa pensée particulière au commandement qui lui est transmis. Un évêque est et doit être partout le même. Il doit avoir la considération et l’estime de son troupeau et toute sa confiance en matière de foi. Pourquoi un département aurait-il un évêque d’un parti religieux et le département voisin en aurait-il un autre d’une opinion opposée ? Comment parvenir ainsi à la tranquillité sur le dogme ?… Je ne saurais saisir en quoi consistent l’hérésie des jansénistes et les différences d’opinion entre mon ancien collègue au corps législatif Grégoire et le saint-père. Je ne connais pas bien les règles qui doivent gouverner le monde catholique ; mais enfin Grégoire n’est pas pape, et c’est le pape dont l’autorité est établie pour décider ces questions. Après des secousses et des convulsions comme les nôtres, qui ne sent que le rétablissement de l’ordre ne peut naître que de l’obéissance ? A qui faut-il qu’elle soit rendue en matière de religion ? Est-ce à Pie VII ou à l’abbé Grégoire ?… Bonaparte a marché une fois sur Rome bien malgré lui. Il ne voudra point faire la guerre à des chasubles[1]. »

Lorsque ces remontrances, hasardées sur un ton semi-sérieux et semi-familier, lui arrivaient à Paris de la part de l’ancien collègue qui avait jadis signé avec lui le traité de Tolentino, le premier consul n’avait déjà plus besoin de les entendre. Sa méfiance, excitée un moment par les adversaires du concordat, s’était peu à peu calmée. Les dépêches de Consalvi, les propres lettres de Pie VII l’avaient enfin convaincu de la bonne foi de la cour de Rome. Le 18 brumaire était maintenant passé, et, les éclats de son impatience n’ayant pas suffi à vaincre les scrupules du légat, il avait pris son parti de remettre à une autre époque la publication du concordat. Ses idées avaient pris un autre cours. Habitué à rechercher avidement toutes

  1. M. Cacault à M. Portails, 2 décembre 1801.