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était resté publiquement fidèle aux vieilles croyances religieuses. De plus, M. Portalis, comme presque tous les membres des anciennes familles parlementaires, était fort attaché aux maximes gallicanes, et cette circonstance le rendait un intermédiaire d’autant plus précieux pour traiter avec la cour de Rome. Ajoutons, pour demeurer complètement dans le vrai, qu’il avait aux yeux du premier consul un autre mérite, dont ce grand dominateur lui savait probablement plus de gré encore. M. Portalis, par conscience sans doute, mais aussi par inclination naturelle et, disons-le, par faiblesse de caractère, était un instrument toujours souple et docile aux mains de ceux qui employaient à leur profit ses grandes facultés. Avec l’esprit d’un sage, il avait l’âme d’un subalterne, et c’est ainsi que nous allons le voir, malgré sa haute position et ses honnêtes tendances, se laisser imposer, dans les scènes qui nous restent à raconter, un de ces rôles qui, même lorsqu’ils sont le mieux remplis, diminuent toujours un peu ceux qui ont consenti à les accepter.

En cette occasion, M. Portalis n’avait dit que la simple vérité en exposant au représentant du saint-siège les vues actuelles du premier consul, et bientôt le cardinal eut occasion de s’apercevoir qu’il ne lui avait non plus exagéré en rien son mécontentement. A peine le cardinal avait-il mis le pied dans son cabinet, que, sans dire un mot des cinq articles, avec une vivacité impétueuse et une mauvaise humeur marquée, Napoléon se mit à se plaindre en termes amers de tous les Romains. « On avait voulu l’amuser et le prendre au trébuchet ; c’était un leurre et un piège que cette lenteur mise à l’expédition de la bulle. » Et tout d’un trait, continuant à parler comme un torrent, dit Caprara, il répéta avec des expressions très aigres tout ce que M. Portalis avait déjà dit de sa part. Un instant le légat essaya d’interrompre ce véhément discours en justifiant de son mieux les lenteurs romaines. « Je n’admets pas de justifications, reprit le premier consul, et je ne fais d’exception que pour le pape seul, à qui j’ai voué respect et tendresse. » Puis, toujours emporté par la colère ou faisant semblant de l’être, il continua, du même ton, à énumérer ses griefs et à proclamer ses intentions inébranlables. « Son parti était pris de nommer des évêques constitutionnels ; il en choisirait quinze, et rien ne le ferait revenir d’une ligne seulement sur cette détermination[1]. » En entendant nommer les évêques constitutionnels, Caprara voulut rappeler qu’à tout le moins il fallait qu’ils eussent au préalable fait acte de soumission. Le mot de soumission parut irriter le premier consul. « Il y a de

  1. Correspondance du cardinal Caprara, 2 novembre 1801.