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voulant surtout éviter de répondre par écrit aux articles qui lui avaient été communiqués, le cardinal Caprara fit témoigner le désir d’être reçu à la Malmaison, où Napoléon résidait à cette époque de l’année. Il était onze heures du soir, le 31 octobre, et Caprara se préparait de son mieux à l’entrevue du lendemain, quand tout à coup le conseiller Portalis se présenta chez lui. « L’heure intempestive, lisons-nous dans la correspondance du légat, ne lui faisait rien présager que de peu satisfaisant. » Cette visite prescrite sans doute par le premier consul semble en effet n’avoir eu d’autre but que de troubler davantage le représentant du saint-siège, déjà mis en si grand émoi, et qu’attendait, après le directeur des affaires ecclésiastiques, un autre interlocuteur bien plus intimidant encore. M. Portalis venait renouveler, à peu près dans les mêmes termes, mais avec plus de précision et de dureté, les injonctions qu’avait déjà apportées l’abbé Bernier. Il répéta que le premier consul voulait absolument faire connaître du même coup au public tous les sujets nommés aux nouveaux sièges épiscopaux et les faire aussitôt instituer canoniquement, afin que, le concordat une fois publié, ils pussent tous être rendus dans leurs diocèses respectifs avant les fêtes de Pâques. Le retard qu’on mettait à envoyer de Rome la bulle de circonscription des nouveaux diocèses empêchait seul l’exécution d’un plan si raisonnable, et tout le monde était persuadé en France que ce retard était volontaire et calculé. Au reste le cardinal s’en expliquerait personnellement le lendemain avec le premier consul. M. de Portalis avait mission de le conduire à la Malmaison, et viendrait de bonne heure le chercher dans sa propre voiture[1].

M. Portalis, interprète en cette occasion des volontés du chef de l’état, était certainement l’un des hommes les plus distingués et les plus justement considérés de son époque. En appelant dans ses conseils cet ancien avocat, grave de mœurs, déjà renommé par son savoir et par son éloquence, qui avait jadis lutté sans désavantage au barreau d’Aix contre Mirabeau, à Paris contre Beaumarchais, qui s’était fait remarquer pendant la révolution par son opposition aux mesures violentes du directoire et par le secours puissant que sa parole avait maintes fois prêté aux membres du clergé catholique, le premier consul avait, comme à son ordinaire, fait preuve d’une extrême perspicacité. Il n’avait pas été moins habile en choisissant, de préférence à tout autre, pour lui confier la nouvelle direction des affaires ecclésiastiques, un conseiller d’état qui, loin de professer les opinions communes à la plupart de ses collègues,

  1. Correspondance du Cardinal Caprara, 1er novembre 1801.