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avait été jusque-là toujours irrésistible. Il s’enfuit à Holwan, à l’entrée des gorges étroites du Kurdistan, abandonnant aux vainqueurs Ctésiphon et toutes les plaines qu’elle défend. Ctésiphon, bâtie sur les ruines de l’ancienne Séleucie, était la capitale de l’empire ; les richesses accumulées dans cette ville étaient immenses, les monumens qui la décoraient admirables. Les historiens musulmans retracent à l’envi les trésors innombrables que les Arabes y trouvèrent, le luxe merveilleux des palais, des temples et des bazars. « Je renonce, dit Àboulféda, à énumérer tant d’objets précieux, à décrire tant de splendeurs, car il faudrait y consacrer un volume. » Il en excepte seulement un tapis long et large de soixante coudées, qui représentait un parterre. Chaque fleur était formée de pierres précieuses et tenue par une arabesque en or pur. On songe malgré soi, en lisant cette description, à ce que Plutarque nous dit de la tente de Darius, à laquelle le chroniqueur grec consacre aussi un long passage où perce une admiration mêlée d’étonnement. Un tel luxe a toujours déconcerté les Occidentaux. Malgré leur ignorance, les chefs arabes comprirent la beauté de ce tapis, merveille de l’art perse, et le rachetèrent aux pillards pour l’offrir au calife ; mais le rigide Omar, qui affectait de ne se vêtir que de grosse toile et redoutait pour ses troupes la contagion de ces exemples, fit couper ce tapis en autant de morceaux qu’il y avait de chefs présens, et le leur distribua. La valeur matérielle de ce chef-d’œuvre des fabriques de l’Asie était telle qu’Ali put vendre vingt mille dirhems le morceau grand comme les deux mains qui lui était échu en partage.

La Perse était vaincue, non supprimée ; les provinces orientales, la Mésopotamie, étaient encore libres, la civilisation y trouva un refuge. Les villes qui appartenaient aux Arabes ne perdirent pas d’ailleurs tout souvenir des arts florissans qu’elles avaient si longtemps cultivés. La société au milieu de laquelle les vainqueurs s’implantèrent, et à laquelle ils imposèrent tant bien que mal la suprématie de leurs armes et la doctrine de Mahomet, était vivace et ne périt pas. La barbarie arabe fut d’ailleurs de courte durée, on n’eut le temps de rien oublier. Il ne pouvait guère être question de sciences et d’arts sous la dynastie des Ommiades, héritiers de la puissance et de l’austérité d’Omar ; mais il en fut tout autrement lorsque les enfans d’Abbas et d’Ali arrivèrent au pouvoir. Persécutés par la politique ombrageuse du calife Moawyah, ces princes étaient venus se réfugier dans les provinces de la Perse encore indépendantes. Ils étaient tolérans, éclairés, et représentaient l’élément le plus intelligent, le plus compréhensif du génie arabe. Ali a laissé un volume de poésies, il avait des instincts d’art et de