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subirais ma peine à Glasgow même, ou à Perth, ou dans les prisons d’Angleterre. Ces dernières, bien qu’on m’en dît merveilles, me faisaient grand’peur. Rester en Écosse, c’était en quelque sorte rester chez moi. Déjà minée par l’inquiétude, je fis mon possible pour me rendre malade, et je n’y eus vraiment pas grand’peine, car les premiers mois d’emprisonnement solitaire m’avaient exténuée. A l’infirmerie, j’étais presque heureuse ; je l’aurais été tout à fait, si l’on eût pu me rassurer au sujet de Black-Barney… Après tout il était naturel que je lui fusse attachée, car cet homme si violent, si peu maître de lui, jamais ne m’avait frappée, jamais dit un mot plus haut que l’autre. Du reste, on avait beau me soigner et m’exhorter, ces quatorze ans (j’en avais dix-huit) me pesaient sur le cœur, et je me sentais plus révoltée, plus endurcie qu’auparavant. — Jamais tu n’en verras la fin, me disais-je, et alors à quoi bon tous les efforts que te coûterait une réputation à refaire ?… Puis l’ordre de translation arriva, et j’en fus presque bien aise. L’ennui m’avait repris au sortir de l’infirmerie, et tout changement devait être le bienvenu. Pourtant à l’heure du départ le chagrin de quitter Glasgow domina chez moi tout autre sentiment. Et ce me fut une consolation de penser qu’à l’expiration de mes quatorze années la loi voulait qu’on me ramenât au pays. Revoir mon vieux Glasgow a été mon rêve favori depuis cette journée où je le quittais…. peut-être pour n’y jamais rentrer. »

Puis-je me flatter, consultant comme je fais, des souvenirs déjà lointains, d’avoir fidèlement rendu l’accent de ce récit, fait comprendre les variations de cette pensée mobile, de cette conscience vacillante et inégalement éclairée ? Je le voudrais pour ne pas laisser à l’état d’énigme l’intérêt vif que m’inspire Cameron, disons vrai, l’attachement que j’ai pour elle. Il redouble quand je la compare à la plupart de ses compagnes de captivité. Je parle ici des meilleures, de celles à qui on ne peut refuser pitié, lors même qu’elles n’inspirent aucune sympathie, — les Garnett par exemple, cette mère et cette fille condamnées ensemble pour homicide. Évidemment, bien que leur crime ait soulevé un déchaînement d’opinion presque universel, ces deux êtres extraordinairement bornés ne sont coupables que d’une rigidité absurde, aux conséquences de laquelle tout fait penser qu’elles n’avaient point réfléchi : l’une est la femme, l’autre la fille aînée d’un misérable berger, chargé d’une nombreuse famille. Un travail rude, incessant, pouvait seul éloigner de leur cottage la faim, l’horrible faim, toujours au seuil, toujours menaçante. A la mère incombaient tous les soins du ménage, les filles fabriquaient à bas prix de grosses dentelles, et la tâche quotidienne était l’irrémissible condition du repas quotidien. La cadette, enfant de seize ans, maladive et sujette aux fièvres, se