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de sûreté qu’il faut savoir ouvrir à propos. Imaginez bien que je n’ai pas toujours réussi. Malgré tous ses efforts et avec la pleine conscience de sa folie, ma néophyte a succombé plus d’une fois ; mais elle a recommencé la lutte sur nouveaux frais après un découragement passager. J’ai fini par la conduire ainsi jusqu’à l’association, qui est la récompense d’un certain nombre de bonnes notes (marks) obtenues dans un temps donné. Ici l’amélioration a été sensible quant à la conduite. Or trois mois de vie en commun franchis sans mauvaise note mettent une prisonnière de Millbank en passe d’être transférée à Brixton, où l’attend une amélioration marquée dans les conditions de sa captivité. Huit jours avant l’expiration de ce trimestre d’épreuve, je félicitais Cameron (qui par parenthèse est sensible aux éloges comme aux reproches) sur le succès de ses vaillans efforts. — A la bonne heure, miss Weston, me dit-elle avec un accent particulier que j’ai appris à connaître, mais il faudrait me changer de cellule… Je suis avec une femme qui m’agace les nerfs par ses méchantes plaisanteries, continuât-elle en voyant ma surprise… C’est tout ce que j’ai pu faire que de ne pas lui apprendre de quel bois je me chauffe en pareil cas… Il n’y avait pas à se méprendre sur le geste qui accompagnait cette menace directe. Je promis donc à Jane qu’on la débarrasserait de cette fâcheuse voisine. Malheureusement, parmi tant d’autres soins à prendre, je perdis de vue celui-là. — Miss Weston, me dit Jane le lendemain, vous voulez donc que je retourne parmi les isolées ? J’y serai dès ce soir, si vous la laissez sous ma main.

Je remerciai Dieu d’être encore à temps, et, moyennant une complaisance que miss Baly se fût fait un devoir de refuser, Cameron est allée à Brixton. Y restera-t-elle ? Je n’en suis pas certaine, il s’en faut. Les impressions religieuses n’ont pas grande prise sur elle, et je la sais encore désespérant d’un changement absolu qui lui semble impossible. Elle se garderait bien de ne pas exprimer tout haut le regret d’avoir si mal vécu ; mais je vois clair dans ces bons propos légèrement hypocrites. Une fois rentrée dans la cellule qu’elle partage maintenant avec deux autres convicts, elle hausse les épaules, et se demande et demande à ses compagnes si elle a pu agir autrement qu’elle ne l’a fait. Toutes en sont là. Toutes ont été les innocentes victimes d’une irrésistible destinée, Toutes se plaignent, avec une sincérité parfaite, des rigueurs de la société envers elles, et chacune se croit en butte à une persécution personnelle dont elle cherche en vain le mot.