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guerre, lui a permis d’organiser une armée relativement nombreuse, bien équipée, fournie de tout le matériel nécessaire, et de la jeter à son heure sur tel point qui lui a convenu. Il faut remarquer pourtant qu’éloignés de sa présence, ses généraux, habitués à obéir, n’ont trouvé ni la décision, ni l’activité, ni la présence d’esprit nécessaires au commandement. Les opérations qu’il ne dirigeait pas ont été désastreuses. Aujourd’hui, poursuivi sur son territoire, ayant déjà dépensé une grande partie des ressources de son petit état, il imprime encore aux troupes qu’il commande lui-même une énergie surprenante ; il se défend sans insuccès et trouve d’ailleurs, dans les obstacles matériels contre lesquels les alliés ont à lutter, un auxiliaire qui double sa force.

Il est imprudent de préjuger l’avenir. Toutefois, sans chercher à prédire l’issue de la guerre, il est permis de prévoir dès à présent que la liberté, dont chacun des belligérans ne s’inquiète qu’au point de vue de ses intérêts particuliers, n’aura en somme rien à y gagner. Le dictateur absolu du Paraguay s’est fait deux fois l’agresseur pour maintenir à son profit le principe de la libre navigation ; mais son triomphe, en donnant le prestige de la victoire à une puissance militaire relativement considérable qui augmentera en même temps que la population, éveillerait peut-être chez lui de nouvelles convoitises, et deviendrait une menace pour les états voisins. Ceux-ci seraient conduits à accroître leurs années permanentes, à introduire chez eux un système militaire dangereux pour leurs institutions et incompatible avec les nécessités de leur situation. L’empire constitutionnel du Brésil semble plus soucieux d’acquérir pour lui-même le cours fies fleuves que d’en ouvrir l’accès aux autres nations. Les deux républiques qui ont uni leurs intérêts aux siens se donnent pour mission d’imposer à un peuple étranger des institutions conformes peut-être, à leurs antécédens et à leurs goûts, mais dont le Paraguay ne semble pas encore en état d’apprécier les mérites et de recueillir les avantages. Les événemens dans le Nouveau-Monde offrent donc un sujet d’études et de réflexions. On y voit les peuples défendre la liberté quand elle s’accorde avec leurs désirs et leurs intérêts, et déguiser sous les mots de droit, de justice et d’humanité, les succès qu’ils attendent parfois de la violence et de l’usurpation,


P. DUCHESNE DE BELLECOURT.