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prennent toutes les allures d’une nation organisée. C’est là un résultat auquel on ne saurait trop applaudir. La culture fait des progrès ; les produits qu’elle fournit suffisent à l’alimentation du pays ; le gouvernement lui accorde des primes d’encouragement ; le tabac du Paraguay commence à être connu[1] ; l’exportation de la yerbamate, herbe odorante analogue au thé, donne un revenu de près de 5 millions. Le président avait réussi en 1863 à faire planter 16,600,000 pieds de cotonniers, produisant environ 4,000 balles. Les environs de l’Assomption possèdent déjà quelques routes carrossables ; le chemin de fer de l’Assomption à Villa-Rica est presque terminé. Enfin, depuis 1856, le Paraguay a émis 200,000 piastres fortes (à 5 fr. 10 c.) environ en monnaie de papier, et ce papier est resté au pair du métallique, contrairement au papier argentin, qui subit une énorme dépréciation. Il est vrai que le papier paraguayen n’a guère cours qu’à l’Assomption.

C’est le propre des gouvernemens absolus de chercher à développer la force militaire. Les dictateurs du Paraguay n’y manquèrent pas. Par leurs soins, des manufactures d’armes et des fonderies de canons existent à l’Assomption sous la direction d’ouvriers étrangers. Des forts ont été construits sur la frontière, entre autres la forteresse considérable d’Humayta, et celle d’Itapiru au confluent du Parana et du Rio-Paraguay. La race indienne, disposée à l’obéissance passive, sobre, patiente et méprisant la mort, fournit de bons soldats. En 1862, le général Lopez disposait, d’après la carte de M. Mouchez, de 15 à 18,000 hommes parfaitement disciplinés et tout prêts à combattre pour lui à l’intérieur comme à l’extérieur. En attendant, il les utilisait dans les travaux du chemin de fer. Sa marine se composait de 10 petits vapeurs en bois, construits presque tous dans le port de l’Assomption et propres seulement à la navigation fluviale. Dès que les prétentions de Buenos-Ayres sur l’île de Martin-Garcia firent pressentir la tournure que prendraient les événemens, M. Lopez prit ses dispositions pour agir. L’armée ne dépendait que de lui. N’ayant aucun contrôle à subir, il pouvait l’organiser à son gré, l’augmenter sans autre limite que le chiffre de la population. Une levée générale de tous les hommes en état de servir fut ordonnée et opérée avec une grande rigueur. Les nouvelles recrues se réunissaient dans un camp près de l’Assomption, où elles étaient exercées au maniement des armes. De là on les envoyait soit à Cerro-Leon, sur le haut Paraguay, soit sous les murs de Humayta. En 1864, l’armée dut compter de 40 à 42,000 hommes immédiatement disponibles. Le recrutement continua cependant,

  1. Le tabac du Paraguay a obtenu une médaille à l’exposition universelle de Londres.