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s’y opposer, soit qu’il y mît une certaine complaisance, il paraît hors de doute qu’il arriva du territoire argentin aux insurgés des secours d’armes, de vivres et même d’hommes. Le gouvernement oriental s’en émut, et à la suite de certains actes hostiles suivis de représailles immédiates les Argentins établirent une escadrille en face de l’îlot de Martin-Garcia. La possession de cette petite île, très rapprochée de la côte orientale et longue à peine de deux milles, est d’une importance capitale au point de vue de la navigation dans la Plata. Située à l’endroit où les canaux du fleuve se resserrent, elle domine complètement la passe de l’ouest, la seule où les bâtimens d’un fort tonnage puissent s’engager, et deviendrait facilement une position militaire redoutable. Durant les guerres de Rosas, quelques batteries assez mal armées y suffirent pour maintenir le blocus du Parana et de l’Uruguay. Le traité du 10 juillet 1853 entre la France, l’Angleterre et la confédération argentine reçut même une clause portant que l’île ne pourrait appartenir qu’à un état ayant adhéré au principe de libre navigation. Depuis 1852, Martin-Garcia était occupée par quelques soldats argentins ; néanmoins la présence d’une escadrille excita de vives réclamations de la part de Montevideo. Le Paraguay, commençant à sortir de l’immobilité et de l’isolement où l’avaient tenu ses deux premiers présidens, protesta de son côté contre un acte qu’il considérait comme une atteinte à la liberté du fleuve. Le gouvernement argentin cependant ne prenait souci que de l’attitude du Brésil, dont il craignait les desseins sur la bande orientale autant que l’empire redoutait ses projets d’union avec Montevideo. Il proposa de laisser la solution du conflit à l’arbitrage impérial, espérant ainsi empêcher toute action isolée et paralyser toute intention de conquête, s’il en eût réellement existé. Montevideo refusa l’arbitrage. Dès lors la confédération, sans s’inquiéter du Paraguay, maintint son escadrille à Martin-Garcia, et, tout en protestant officiellement de sa neutralité, ne dissimula plus ses sympathies pour Florès.

En présence de cette situation nouvelle, le Brésil avait le choix entre deux partis, ou bien soutenir contre Florès et les Argentins le gouvernement blanquillo, ou bien sympathiser avec l’insurrection colorado et accepter la communauté d’action que proposait Buenos-Ayres. L’attitude de la province jadis rebelle du Rio-Grande détermina sa conduite. Parmi les réclamations que le gouvernement brésilien présentait depuis 1856 au cabinet oriental, la plupart intéressaient cette province, qui demandait en outre l’accomplissement des promesses relatives aux frontières et à la navigation de l’Uruguay, dont le Brésil, en 1851, avait fait le prix de son