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Brésil au contraire paraît avoir un intérêt capital à ne pas en être privé, et malheureusement on a trop lieu de craindre qu’une fois émancipés, les noirs n’envisagent la liberté comme un droit absolu à la paresse. Il est vrai que le Brésil est coupable de n’avoir pas cherché à sortir de cette fâcheuse nécessité, en essayant au moins d’introduire chez lui, non plus à titre de colons libres ; mais comme ouvriers payés, les travailleurs ou coulies que l’Inde anglaise fournit à d’autres pays. Il lui faut absolument songer à remédier enfin à ce danger de voir l’abolition de l’esclavage, quand elle ne pourra plus être retardée, modifier instantanément le régime économique dans l’empire tout entier. En attendant, et dans les conditions actuelles, si l’on songe au chiffre de la population blanche, on comprend que le Brésil hésite à adopter une mesure commandée il est vrai par l’humanité, mais qui peut faire courir aujourd’hui de grands risques à sa prospérité et même à sa sécurité. Ces observations n’ont pas pour but de défendre l’institution de l’esclavage ; elles peuvent faire comprendre la situation particulière dans laquelle le Brésil est placé. L’expérience faite dans les colonies anglaises et françaises s’est opérée dans des conditions trop différentes pour servir de leçon. L’émancipation récente des noirs dans les anciens états esclavagistes de l’Amérique du Nord fournira un plus utile enseignement. Est-il interdit d’en attendre le résultat ? Cependant, loin de songer à une propagande esclavagiste, le Brésil cherche les moyens d’arriver sans danger à l’émancipation. En 1865, les chambres ont eu à s’occuper d’un projet de loi tendant à déclarer libres les enfans nés d’esclaves. Ces enfans seraient élevés sur la. terre où ils sont nés, ils y prendraient l’habitude du travail. Peut-être cette combinaison conserverait-elle en effet à l’état les bras dont il ne saurait se passer. On pourrait aussi examiner un système qui, attribuant à l’esclave une partie de la plus-value produite par son travail sur la terre qu’il cultive, et lui conférant le droit légal et absolu de racheter sa liberté avec le fruit de ses économies, l’intéresserait à la prospérité publique, et lui donnerait l’habitude et le désir de l’épargne avec le sentiment de la propriété.

Quoi qu’il en soit, le moyen le plus sûr de lever les obstacles qui retardent l’abolition de l’esclavage, c’est d’augmenter la population blanche. À ce point de vue, plus encore que la confédération argentine, le Brésil a besoin de l’émigration ; il faut dire, puisqu’il s’agit d’apprécier les ressources et l’avenir des états engagés aujourd’hui dans une même querelle, que si les difficultés ne viennent pas, comme dans la république argentine, de la situation politique, elles tiennent à des conditions physiques contre lesquelles il sera peut-être plus malaisé de réagir. Au lieu des plaines qui s’étendent