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L’expérience a montré qu’une société politiquement organisée n’existe dans des conditions régulières et n’emploie utilement la totalité de ses forces qu’autant que le territoire occupé est en rapport avec le nombre de ses membres. Quand la population est trop clair-semée sur un espacé trop étendu, la nation perd une partie des efforts et des moyens d’action dont elle bénéficierait en se condensant dans des limites plus étroites. Ce vice d’organisation, que l’on rencontre plus ou moins dans tous les états de l’Amérique du Sud, et qui remonte aux premiers temps de la conquête et aux accidens de la colonisation, annihile en partie les ressources de la confédération argentine comme celles du Brésil. L’empire brésilien représente à lui seul plus des deux cinquièmes du continent sud-américain ; il offre sur l’Atlantique un développement de côtes d’environ 4,400 kilomètres ; il pénètre dans l’intérieur à une profondeur de plus de 2,000, et sur cette immense superficie de 7,516,840 kilomètres carrés (quatorze fois environ celle de la France) se trouve disséminée une population que l’on estime atteindre à peine aujourd’hui 8 millions d’âmes[1]. Encore fait-on entrer dans ce chiffre près de 2 millions de noirs esclaves, qui, à certains égards, ne sauraient être regardés comme citoyens actifs. Ces pays présentent ainsi ce spectacle sans précédens de nations qui, après s’être assimilé au même degré que, les peuples les plus policés et les plus anciennement constitués tous les élémens de la civilisation et du progrès, se trouvent pourtant à peu près dans les mêmes conditions géographiques que les tribus sauvages qu’elles ont remplacées.

Depuis l’émancipation, les divers gouvernemens qui se sont succédé dans la république argentine, ainsi que la monarchie héréditaire du Brésil, se sont préoccupés d’une situation aussi anormale. L’exemple des États-Unis du Nord leur indiquait le remède. Ils ont donc cherché à détourner à leur profit le courant d’émigration qui emporte, année moyenne, plus de 200,000 individus hors d’Europe[2]. La confédération argentine n’a réussi encore à attirer chez elle depuis 4840 qu’une moyenne de 7 à 8,000 émigrans par an, la plupart Basques ou Italiens, qui viennent volontiers accroître la population industrielle ou commerçante des villes, mais se soucient peu d’entreprendre des travaux de culture ou de défrichement. Sur 100,000 individus[3], chiffre auquel on fixe à peu près le nombre des

  1. On évalue en outre la population indienne errant dans les forêts à 2 millions environ ; mais ces Indiens ne peuvent être comptés à aucun titre dans la population brésilienne.
  2. L’émigration a été en 1854 de 460,697 individus, en 1858 de 185,520. Elle a paru reprendre depuis 1860. De 1820 a 1855, les États-Unis ont reçu 4,207,624 émigrans.
  3. M. Martin de Moussy dit 120,000. (Description de la confédération argentine.)