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ottoman, et que la question d’Orient mûrit chaque jour. Un incident peut à tout moment produire là une perturbation qui à l’improviste mettra l’Europe en l’air. Les troubles de Candie deviendraient peut-être un incident de cette nature, si l’on n’était pas à peu près partout sous l’influence de la lassitude causée par la guerre d’Allemagne. L’insurrection candiote paraît importante ; elle met en mouvement des milliers d’hommes ; elle contraint la Porte à faire des démonstrations militaires considérables. Voilà bien des fois déjà que le mauvais gouvernement des Turcs pousse à la révolte les Grecs chrétiens de Candie. Si les Hellènes avaient pu ou su faire de leur indépendance un usage habile, l’occasion serait bonne, et l’on pourrait songer en Europe à enlever Candie à l’énervante domination des Turcs pour accroître le royaume hellénique. Après tout, les Grecs se plaignent que, si leur indépendance n’a point donné les résultats qu’on s’en était promis, c’est qu’on a fait la Grèce trop petite et que l’existence lui est impossible dans les limites étroites où on l’a contenue. Qui oserait donner tort à ces réclamations des Grecs ? qui ne leur donnerait pas raison au contraire, s’il existait encore en Europe un peu du feu libéral et de la naïveté généreuse et confiante de 1825 ?

L’agitation pour la réforme électorale vient d’être ouverte bruyamment à Birmingham par M. Bright. La presse anglaise a donné un grand écho, comme on devait s’y attendre, à la manifestation réformiste de Birmingham ; dans l’intervalle des sessions, de nombreux meetings colporteront le mouvement dans toutes les parties de l’Angleterre. On se tromperait, suivant nous, si l’on se figurait que cette campagne produira des résultats importans. Avant tout, la couronne et les grandes assises de la constitution anglaise sont hors du débat. La reine Victoria a déjà recommandé cinq ou six fois au parlement des projets de réforme ; elle peut se donner, par ses actes, pour la personne la plus réformiste des trois royaumes. La querelle n’est donc qu’entre les deux grands partis qui se partagent la chambre des communes. Cette chambre elle-même s’étant distinguée depuis bien des années par son éloignement pour tout esprit de caste dans la législation et par le zèle assidu avec lequel elle a voté toutes les améliorations qui lui ont été proposées dans l’intérêt des classes populaires, on ne peut invoquer contre elle aucun grief. Aussi, malgré cette magnifique embouchure de tribun qu’il possède, M. Bright a été très stérile d’argumens dans sa dernière harangue. L’éloquence que dépense M. Bright dans sa prédication réformiste se heurte à une contradiction. Le grand orateur dénonce les tories à la haine du peuple pour avoir rejeté un bill qui n’aurait ajouté que 200,000 ouvriers au corps électoral, et au sujet de ces 200,000 votes il est obligé, pour obtenir des effets oratoires, de recourir aux principes généraux sur lesquels on assoit la théorie des droits de l’homme et du suffrage universel. La robe est d’une ampleur trop démesurée pour le corps. M. Bright veut-il aller jusqu’au suffrage universel ?