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et donnait aux Prussiens l’avantage d’un contre trois. » Les Prussiens n’ont pas eu seulement, il y a plus d’un siècle comme aujourd’hui, le bonheur de changer par la supériorité et la précision de leur armement la tactique des batailles ; obligés par l’infériorité numérique de leur population de chercher dans toutes les applications de la force militaire l’avantage d’un contre trois, ils se sont donné des institutions qui leur assurent un pied de guerre formidable. Les autres états de l’Europe n’ont rien emprunté à ces institutions tant que tout ce qu’en obtenait la Prusse se réduisait à lui permettre d’égaler le nombre de ses soldats aux armées des grandes puissances. La situation change aujourd’hui ; la Prusse s’agrandit par ses annexions et l’autorité dont elle s’empare dans la confédération allemande du nord. On ne peut point prévoir qu’elle abandonne ses institutions militaires au moment où elle vient d’en tirer un si grand parti. Elle va au contraire les étendre à ses nouvelles provinces et à ses confédérés. La conséquence, c’est qu’elle possédera un pied de guerre supérieur d’un tiers à celui qu’elle avait précédemment et bien plus considérable que l’établissement militaire ordinaire des autres puissances et notamment de la France. Ici, on sort des considérations de la philosophie de l’histoire, des systèmes d’imagination et de sentiment, on est placé sous la loi inexorable des chiffres.

En temps de paix, lorsque l’armée active était seule sous les armes, lorsque la réserve et les deux classes de landwehr restaient dans leurs foyers, les troupes prussiennes ne dépassaient point 200,000 hommes. En temps de guerre, l’armée active et la landwehr donnaient 700,000 hommes. C’est le chiffre auquel nous venons de voir la Prusse porter ses forces dans sa dernière campagne contre l’Autriche et la confédération. Voilà l’armée que la Prusse a pu mettre sur pied avec l’armement, l’équipement et les approvisionnemens dont l’Europe a été obligée d’admirer la précision, l’abondance et l’ordonnance supérieure. Conservant ses institutions militaires et les appliquant à la confédération du nord, la Prusse aura désormais un effectif de guerre de même qualité qui dépassera un million d’hommes. Voilà pour le présent ; nous ne parlons pas de l’attraction que la confédération prussienne pourra exercer plus tard sur l’Allemagne du midi. La Prusse dans sa confédération passe d’une population de 19 millions d’âmes à une population de 29 millions ; elle irait de 29 à 38 en s’adjoignant l’Allemagne du sud et en laissant en dehors les provinces allemandes de l’Autriche. Nous ne parlons pas non plus de l’accroissement de la population, qui augmente en Allemagne d’un demi-million d’âmes par an, tandis qu’en France on n’obtient un nombre égal qu’en cinq années.

Voilà le voisinage militaire que les derniers événemens nous ont donné. Il ne faut pas de longues réflexions pour comprendre que ce n’est point par une annexion de territoire, par une rectification de frontière, qu’il est possible à la France de faire contre-poids aux forces effectives de la Prusse